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Produire en batch plutôt qu’en grande série

By Lotfi BENYELLES

Dans le livre Lean Thinking, James Womack et Daniel Jones racontent comment une simple expérience avec leurs enfants leur a démontré les avantages de la production en batch. L’expérience qu’ils partagent se déroulait ainsi. Deux groupes de 100 enveloppes devaient être remplies, adressées et timbrées.

  • Le premier groupe d’enveloppe fut traité « à grande échelle ». Cette façon paraissait plus intuitive aux enfants des deux chercheurs. C’est eux qui qui traitèrent ce groupe d’enveloppe, très motivés par le jeu par le jeu qu’on leur proposait. Les enfants insérèrent d’abord les lettres dans les 100 enveloppes. Puis ils écrivirent les adresses à la chaine sur les 100 enveloppes. Enfin, à la troisième étape, les enfants collèrent l’ensemble des timbres.
  • Le second groupe d’enveloppes fut traité en mode batch, c’est à dire à l’unité. Il fut pris en charge par l’un des deux adultes. Une seule enveloppe était remplie, adressée et timbrée à la fois.

L’adulte arriva très largement en tête. Pas seulement parce qu’il était un adulte, mais surtout parce que l’approche « une enveloppe à la fois » était plus efficace. Pour les sceptiques, cette vidéo fait la demonstration du test et de l’efficacité de la méthode choisie par l’adulte.

Pourquoi produire en batch est plus efficace ?

Parce que l’approche « à grande échelle » ne considère pas le temps passé en dehors des tâches principales. Il fallait aux enfants du supplémentaire pour le tri des enveloppes, pour la manipulation du tas de lettres désorganisées. Il leur en fallait aussi pour corriger les erreurs d’adressage et recoller les timbres qui s’étaient décollés au moment du classement. L’expérience démontre que l’efficacité d’une tâche ne garantit pas l’efficacité de l’ensemble du processus.

L’approche à « grande échelle » délivre un lot de nombreux produits tout à la fin du processus de production. Ce processus de production peut parfois prendre des semaines et livrer de grandes quantités de produit. Que se passe-t-il lorsque l’on se rend compte bien après la livraison qu’une des pièces contenait un défaut structurel ? Ou alors lorsque les clients décident que le produit les intéresse pas ?

L’approche grande échelle provoque régulièrement des rappels sécurité réguliers dans l’automobile, l‘électroménager, l’industrie du jouet, etc. Elle est à l’origine des soldes, déstockages et mises au rebut régulières. Il apparaît évident que ce mode de production génère d’énormes gâchis. L’avantage du gain de temps et du faible coût qui lui est prêté est contredit par une vision plus large de ses impacts. Pourtant, la plupart des systèmes de production sont adaptés à la production à grande échelle. Celle-ci est nécessaire pour l’amortissement de machines de fabrication coûteuses et lourdes à faire fonctionner.

Toyota et les petites séries

Dans les années 70, Toyota a adapté son système de production afin qu’il produise en petit volume et qu’il s’adapte aux erreurs et aux anomalies. Il s’agit là de la première méthode Lean développée par Taïchi Ohno et Shigeo Shingo et d’autres pour le constructeur automobile japonais qui les employaient alors.

Les ingénieurs de Toyota constatèrent la faible qualité des automobiles produites par l’ensemble des constructeurs automobiles japonais. Ils imaginèrent un système de production capable de produire en petite quantité pour améliorer la qualité des voitures Toyota. L’entreprise fabriqua ses propres machines outils. Ces dernières pouvaient être reconfigurées rapidement par un nombre limité de personnes. Chaque nouvelle machine outil devait réduire le temps de travail simplifier le processus de production. Elles devaient surtout produire une pièce qui faisait plus de choses que sa version précédente et avec moins de composants.

Toyota se retrouva en mesure de produire de petites quantités et d’ajuster ses et ses pièces pour varier sa production. Ce système batch lui a également permis d’identifier les problèmes de qualité assez tôt. Un ouvrier pouvait ainsi arrêter la chaîne de production s’il détectait un problème qu’il ne pouvait pas résoudre seul. L’entreprise devint une référence en matière de production de voitures de qualité à bas prix. Elle pût ainsi adresser une plus grande variété de marchés dans le monde et devenir en 2008 le premier constructeur mondial.

Production en batch dans une startup

Pour une startup, la production en batch ne sert pas uniquement à s’adapter à une demande client ou à améliorer la qualité de son produit. Elle permet de construire un modèle de croissance durable. Elle minimise en effet les dépenses et en réduit le temps passé à produire. Il devient ainsi possible de disposer rapidement de retours clients sur les améliorations nécessaires aux produit.

Le lean façon Toyota s’est généralisé dans l’industrie des technologies de l’information. C’est ce système qui permet la sortie annuelle de nouvelles versions de l’Iphone. Avec chaque nouvelle version, près de 1500 petites modifications sont réalisées.

Des correctifs et des améliorations plus petites sont également permises par production en batch. A noter néanmoins que le lean Toyota n’est que partiellement applicable aux startups car le fait de concentrer des améliorations dans une seule version est un facteur de risque trop important pour elles.

Réduire les risques

Chez IMVU, la startup à l’origine du Lean Startup, chaque amélioration était développée et livrée en une fois. L’équipe qui en avait la responsabilité était composée d’un binôme développeur / designer. Ce traitement en petits lot (une amélioration à la fois) permettait de maîtriser les défauts éventuels. En cas de dysfonctionnement d’une amélioration livrée aux clients, il était possible de revenir en arrière. La nouvelle fonctionnalité était suspendue jusqu’à ce qu’elle soit réparée.

Ce processus permettait d’éviter de cumuler les problèmes en cas de livraison de nombreuses fonctionnalités. L’amélioration du jeu était quotidienne, sans système de version comme pour l’iPhone. Pour une startup, il est nécessaire d’adopter la démarche batch en se concentrant sur une amélioration. C’est ce qui permet de réduire les risques liés à la sortie de nouveaux produits. Eric Ries appelle cette démarche « système immunitaire du produit ».

Le système immunitaire d’une startup

Prenons cet exemple. Suite à la livraison d’une nouvelle version d’un produit, ce dernier ne se comporte pas de façon attendue. Les indicateurs d’acquisition et de vente commencent à s’effondrer. La raison est qu’un bouton qui était de couleur rose est devenu blanc. Il est ainsi invisible car de la même couleur que le fond d’écran. Le test automatique n’ont pas permis de déceler cette anomalie et le contrôle humain n’a pas fonctionné. La startup doit donc tirer son fil d’alerte et appliquer la procédure suivante :

1. L’amélioration qui venait d’être livrée doit-être supprimée au plus vite
2. Toutes les personnes concernées doivent être contactées et regroupées
3. Plus aucune modification ne doit être apportée … tant que la raison de l’anomalie n’a pas été identifiée
4. Le problème doit-être corrigé et le fil des livraisons d’améliorations peut reprendre

Ces quatres étapes correspondent à l’activation du système immunitaire de la startup.

Le lean et le système de production batch touche aujourd’hui l’ensemble des industries. Il ne se limite plus à l’industrie lourde et au développement web. Nous verrons dans l’article suivant quels sont les facteurs qui permettent la généralisation de la production en batch.

 

Photographie : Universal everything – Credits : Ars electronica – Licence Creative Commons

Pivoter (ou persévérer)

By Lotfi BENYELLES

Pour le créateur de startup, les résultats attendus au démarrage sont rarement au rendez-vous. Dans ces moments, il se pose généralement question de savoir s’il faut persévérer avec ses hypothèses de travail actuelles ou s’il faut changer significativement son produit. Une décision finale de ce type est souvent subjective (vision, intuition, etc.). Mais appuyer ses choix sur du ressenti expose aux perceptions erronées. Pour prendre a décision et pivoter, le créateur de startup doit donc appuyer des faits vérifiés lors de tests.

 

LE LEAN STARTUP PERMET D’ACCELERER LES PIVOTS

Eric Ries présente l’histoire de Votizen. Son créateur David Binetti souhaitait améliorer la participation des américains aux processus civique. Il avait pensé son outil comme un réseau social d’électeurs vérifiés qui recruteraient d’autres électeurs pour défendre une cause commune. Les premiers résultats obtenus avec des early adopters furent très encourageants.

  1. Les clients seraient suffisamment intéressés par son réseau pour s’enregistrer (Indicateur suivi : Enregistrement)
  2. Votizen pourrait les vérifier comme électeurs (Indicateur suivi : Activation)
  3. Les utilisateurs enregistrés créeraient des campagnes pour défendre certaines causes (Indicateur suivi : Rétention)
  4. Ces utilisateurs diffuseraient les campagnes auprès de leurs propres amis pour les recruter au sein de Votizen et ces derniers paieraient à ce moment (Indicateurs suivis : Recommandation et Revenu)

Une première version de l’outil générait des enregistrements et une activation trop faible. Des améliorations permirent d’obtenir des améliorations significatives dans les taux d’enregistrement et les taux d’activation. Pourtant le taux rétention et de recommandation restaient trop faible alors que 20 000$ avaient été dépensés.

 

PIVOTER OU PERSEVERER

La nécessité d’un pivot est difficile à établir. Il peut-être tentant de croire que les bons résultats ne vont pas tarder à venir et qu’il convient de persévérer avec les hypothèses actuelles. La startup risque alors de se retrouver dans ce qu’Eric Ries appelle « être coincé au royaume des morts-vivants ». Les entreprises dans cette situation dépensent une grande quantité d’argent en ressources humaines et infrastructures. Quelques résultats encourageants les laissant croire qu’ils sont proches du but. Mais elles ne parviennent jamais à transformer ces signes encourageants en un modèle de croissance durable.

Pour Votizen, David Binnetti avait évité cet écueil grâce à deux avantages. D’abord, il avait dès le départ lancé un produit minimum viable qui lui permettait de tester ses hypothèses avant de se lancer dans des développements lourds. Ensuite, il avait identifié toutes ses hypothèses à vérifier. David avait ciblé ainsi des indicateurs actionnables (enregistrement, activation, rétention, recommandation). C’est-à-dire des indicateurs qui peuvent se traduire en action corrective (à l’inverse du nombre total des ventes par exemple).

ECHOUER POUR APPRENDRE

Votizen avait en effet des résultats acceptables. Mais ils n’étaient pas assez bons pour générer de la croissance. Les améliorations que la société venait d’apporter ne permettaient pas de créer un business durable. David décida donc de pivoter pour tester de nouvelles hypothèses.

Le produit changea de nom et devint @2gov. Plutôt que de regrouper des utilisateurs en un réseau social, @2gov leur permettait d’entrer directement un élu avec des outils existants (twitter, mail, etc.). Par ailleurs, la pétition au format papier était produite et envoyée par @2gov.

REVOIR SES HYPOTHESES

Si nous reprenons les hypothèses précédentes, elles diffèrent sur un point : son modèle de croissance. Le revenu n’est plus généré au niveau de l’adhésion au réseau social mais à l’envoi du message à l’élu.

  1. Les clients seraient suffisamment intéressés par son réseau pour s’enregistrer (enregistrement)
  2. Votizen pourrait les vérifier comme électeurs (activation)
  3. Les utilisateurs activistes crééraient des campagnes pour défendre certaines causes (rétention)
  4. Ces utilisateurs diffuseraient les campagnes auprès de leurs propres amis pour les recruter au sein de Votizen (recommandation)
  5. Les utilisateurs les plus motivés par la cause à défendre paieraient pour envoyer le message contenant la pétition à leur élu (revenu).

L’évolution du produit coûta 30 000$, et les indicateurs de rétention et de recommandation s’améliorèrent significativement. Mais moins de 1% des enregistrements aboutissaient à du revenu. David élargit alors son recrutement à des compagnies de grande taille, des sociétés de levée de fond, etc. Tous ces acteurs avaient un intérêt à mener des campagnes politiques. Ces sociétés semblaient prêtes à payer pour les services de @2gov si les fonctionnalités adaptées étaient mises à leur disposition. David organisa le passage d’un modèle B2B à B2C, mais les sociétés ne confirmèrent pas leur intérêt initial. Ces sociétés, mêmes si elles étaient intéressées n’étaient pas prêtes à se mettre dans la peau d’early adopters.

PERSISTER

Après trois pivots, le produit n’avait toujours pas de modèle de croissance durable. Plutôt que de recourir à des investisseurs externes, David, réduisit l’équipe pour conserver les coudées franches.

Il s’inspira du modèle Google AdWords pour faire évoluer son modèle de croissance. Le mode d’enregistrement restait le même mais les utilisateurs qui souhaitaient s’inscrire devaient prépayer le message qui serait envoyé à l’élu. Il apparut que 11% des utilisateurs étaient prêts à prépayer 20 cents. Avec la méthode de l’apprentissage validé, le MVP suivant fût ainsi développée en un mois contre huit pour le premier et la société trouva finalement son modèle de croissance.

 

LES INDICATEURS DE VANITE EMPECHENT DE PIVOTER

Nous avons vu dans un article précédent à quel point les indicateurs de vanité (Chiffre d’affaire, Nombre de visites, etc.) étaient limités.

  • Tout d’abord, ils amènent à formuler de mauvaises conclusions et à vivre dans son propre monde ;
  • Ensuite, lorsque les hypothèses formulées ne sont pas claires, les métriques de vanité ne permettent pas d’arriver à un constat d’échec nécessaire au pivot.

Les entrepreneurs ont souvent peur de pivoter trop tôt sans laisser à leur modèle une chance de se développer. Cette peur empêche d’entrer dans une démarche de MVP, de split testing et de tests d’hypothèses. L’entrepreneur attend de finaliser au mieux son produit avant de commencer les tests. Mais en procédant de la sorte, ses opportunités de pivoter finissent par se restreindre.

 

HYPOTHÈSES

Citons le cas de Wealthfront. Au départ, cette société avait développé un jeu de simulation d’investissement appelé kaChing. En fait, il cachait un outil de gestion de portefeuille destiné au marché des fonds communs de placement. La solution proposée visait à accroitre la transparence et la valeur pour les acheteurs. Il devait également permettre l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché et d’en changer les règles.

Le jeu permettait à toute personne inscrite de participer à un championnat imaginaire et d’ouvrir un compte de trading virtuel. Ce compte était basé sur un portefeuille où le joueur n’avait pas à investir des fonds réels.

 

SE TROMPER DE PUBLIC

Pour bâtir son produit, Wealthfront a construit une technologie sophistiquée qui permettait d’évaluer le savoir-faire de chaque manager de fond. De tels outils existaient déjà (notamment celui de l’instance d’évaluation du secteur, la Premier U.S. university endowments). Mais ces informations n’étaient pas disponibles publiquement. La technique de notation de Wealthfront était aussi performante que celle de cette autorité. Mais elle avait l’avantage de rendre cette information publique et transparente pour les acheteurs de fonds communs de placement. Les hypothèses de Wealthfront étaient les suivantes :

  1. Un nombre significatif de joueurs pourraient démontrer suffisamment de talent comme manager de fonds virtuels pour devenir gestionnaire de fonds dans le monde réel (Hypothèses de valeur).
  1. Le jeu pourrait se développer sur le mode viral. Il serait gratuit à l’inscription, mais les joueurs souhaitant basculer dans le trading paieraient l’accès à un compte professionnel leur permettant de faire des transactions réelles (Hypothèse de croissance).

 

TROUVER SON PUBLIC

Les métriques de vanité auraient pu piéger les fondateurs. 450 000 joueurs étaient inscrit sur la plateforme gratuite. En fait, seul sept d’entre eux avaient converti le compte joueur en compte de trading réel. Les améliorations qui suivirent ne changèrent rien au taux de conversion. Il était temps de pivoter. Deux constats ressortaient des cette première phase. Les gestionnaires de fonds professionnels hésitaient à rejoindre Wealthfront pour plusieurs raisons :

  • Le public n’était pas véritablement connaisseur de l’activité d’indépendant dans la gestion d’actifs. Des difficultés se posaient donc.
    • La perception de la plupart des gestionnaires amateurs était que la transparence remettait en cause leur crédibilité. Mais cette perception n’était pas partagée par ceux qui obtenaient les meilleurs résultats.
    • Les gestionnaires de fond qui passaient en mode pro se retrouvaient également face à des challenges significatifs dans la gestion de leurs business. Ils devaient notamment effectuer un investissement minimal dans l’acquisition de leur propre clientèle, or la plupart ne savaient pas comment faire.
  • L’entreprise avait par ailleurs manqué la case des early adopters. De nombreux gestionnaires de compte indépendants entraient en contact avec l’entreprise et souhaitaient essayer la version financière de l’outil. Grâce à sa fonction de notation, elle leur permettait de rendre publique l’excellence de leur service.

 

REPRENDRE LES TESTS

Pour l’entreprise, il devenait donc déterminant de pouvoir utiliser leurs retours pour améliorer l’outil. La stratégie Freemium avait permis de se constituer une communauté d’usage vaste, mais elle avait écarté les usagers professionnels qui étaient pourtant la cible finale du produit. Le positionnement de la société était donc confus.

En s’appuyant sur des tests, les fondateurs réalisèrent que le cœur de l’attente des usagers de services financiers était l’expertise estimée des gestionnaires de fond. Et l’outil le faisait très bien. Comme pour IMVU, la plupart des fonctions développées n’avaient aucune utilité. Le pivot consista donc à faire de cette fonction le cœur du produit. L’activité de l’entreprise pût décoller.

 

QUAND PIVOTER ?

Il est difficile de savoir précisément quand pivoter. Eric Ries note que lui-même dans le cas du développement du jeu IMVU, il avait raté ce moment alors que tous les indices étaient là.

 

Au delà des Early Adopters

Après avoir mis en place l’organisation lean, des tests, un MVP et la méthode Kaban, IMVU avait fini par multiplier les améliorations de l’outil, et à grande vitesse.

Cette stratégie avait fait son succès auprès des early adopters. Mais après cette réussite, l’entreprise peina à trouver des clients ordinaires. Ses indicateurs de croissance (acquisition, inscription, usage, paiement) ne s’amélioraient que de façon insignifiante.

IMVU avait en fait cessé de s’appuyer une boucle d’amélioration et n’avait plus de modèle de croissance durable. L’entreprise suivait des indicateurs de vanité qui étaient satisfaisants, les ventes augmentaient. Pour que la croissance soit durable, il fallait améliorer la conversion.

 

Améliorer le taux d’acquisition

Il fut décidé d’effectuer un pivot pour convertir de nouveaux segments de clientèle qui ne poussaient pas plus loin l’essai du jeu. IMVU mena des actions de marketing auprès de ces nouveaux publics. Malheureusement, les indicateurs d’acquisition s’effondrèrent. Les nouveaux inscrits n’achetaient pas les produits numériques proposés par IMVU.

Le nouveau public ciblé était moins adepte des paramétrages et des commandes. Il fallait ainsi repasser le cap du MVP et des tests. IMVU pourrait ainsi proposer une solution finie qui puisse être adoptée par n’importe qui, sans connaissance préalable en informatique.

 

Les bénéfices de la boucle d’amélioration

Les premiers résultats auprès du grand public furent décourageants. La nouvelle interface était buggée. Les améliorations ciblées pour le grand public avaient dégradé les performances de l’ensemble du jeu. Le taux de conversion du public expert s’était lui aussi dégradé car ce qui marchait avant ne marchait plus. Mais le principe de la boucle d’amélioration et les outils du lean permirent de corriger progressivement les erreurs. Le produit devint plus simple à utiliser et s’ouvrit ainsi à un public bien plus large.

 

LE CATALOGUE DES PIVOTS

 

Zoom-in Pivot

Ce qui était considéré comme une fonctionnalité simple devient le produit lui-même. C’est l’exemple que nous venons de voir avec Wealthfront / kaChin. C’est aussi le cas de Votizen qui a renoncé à bâtir un réseau social au profit d’une simple mise en contact.

Zoom-out Pivot

C’est l’inverse du cas précédent. Il faut dans ce cas étoffer l’offre de service initiale pour donner une cohérence au produit.

Le pivot de segment client

Dans ce cas, le produit résout un problème que le segment client qu’il vise ne se pose pas. Mais en changeant de segment client, il résout le problème. C’est le cas d’IMVU lorsqu’il décida de s’adresser à un public de joueur en ligne plutôt qu’à un public de type réseau social / tchat.

Le pivot de besoin client

Le produit résout un problème qui est secondaire pour le client. Dans ces cas, l’hypothèse de départ doit-être élargie de façon à identifier le besoin réel / plus large qui a été identifié au départ.

Pivot de plateforme ou pivot technologique

C’est un pivot technique qui permet de changer de plateforme technique. Ce changement permet d’améliorer la boucle de feedback et d’apporter des améliorations qui étaient difficiles ou impossibles avec la plateforme précédente.

Pivot de modèle business

Il s’agit ici de passer d’un modèle marge élevées / faible volumes à un modèle faible marge / grands volume ou l’inverse.

Pivot de capture de valeur

Il s’agit de l’ajout d’une fonctionnalité dédiée à la capture de valeur. Certaines startup focalisent sur la fréquentation et tardent à formaliser le moment de la conversion. Ce pivot leur permet de monétiser une fréquentation.

Pivot de canal de distribution

Il s’agit généralement de changer de canal de distribution. Dans l’économie réelle, cette réflexion concerne généralement les cas où l’on s’aperçoit que le produit peut être vendu plus facilement en passant par un distributeur. Cela a bien sûr un impact sur les marges. Dans le cas de l’internet, c’est plutôt l’inverse qui sera intéressant pour la startup. Internet permet d’accéder directement au client. Ce pivot consistera donc à établir une relation directe avec le client à travers son site web.

UN PIVOT SE TRADUIT PAR UNE NOUVELLE HYPOTHESE

Il est assez conventionnel de voir les grandes réussites entrepreneuriales (Apple, Amazon, etc.) sans tenir compte des pivots qui les ont amenés à définir cette stratégie. Les sociétés ont intérêt à lisser leur histoire en les présentant comme les résultats immédiats d’une excellente idée élaborée par un inventeur génial.

Le créateur de startup doit éviter ces récits pour projeter son parcours. La mise en place d’une boucle de feedback est le seul moyen pour un entrepreneur de se suivre à la trace et de développer progressivement son produit .Dans ce cadre, un pivot est une étape qui nécessitera un changement majeur du produit, voir un nouveau produit. Même après les premiers succès, la startup devra toujours continuer à évaluer la possibilité d’effectuer un pivot. Le livre de Clayton Christen, the Innovators dilemma démontre comment de nombreuses entreprises se sont satisfaites de leurs résultats positifs alors qu’elles auraient du pivoter. D’autres sont venus avec des propositions de produit plus innovantes et se sont appropriés leur marché.

 

Photo : Thank God Its Saturday! – Credits : Anamika Singh – The Memory Keeper – Licence Creative Commons

L’usine à innovation

By Lotfi BENYELLES

Eric Ries tente de définir dans son livre ce qui fait ce qui réunit les startups et les grandes entreprises qui innovent. Il reprend pour cela l’idée d’Edison, l’usine à innovation (Innovation factory).

La startup est selon Eric Ries une institution humaine conçue pour créer un nouveau produit ou service dans des conditions d’extrême incertitude.

C’est ce qui fait qu’elle ne peut se réduire à la somme des individualités qui la composent. La startup est donc une entreprise dont la dimension humaine est déterminante et cela rend impossible l’application littérale des principes du management général avec leur pilotage à la tache. Ces principes ne sont pas conçus pour s’adapter à l’incertitude. Or les grandes entreprises ne fonctionnent pas de la sorte. Elles doivent concilier une nécessité d’innovation avec des contraintes massives posées par la gestion taylorienne des ressources.

 

Innovation incrémentale versus innovation disruptive

Eric Ries prend l’exemple de Snaptax. Il s’agit d’une startup américaine lancée en 2009. Son produit permettait dans un premier temps le remplissage en saisie électronique de la déclaration annuelle de revenu à partir d’une photographie de la version papier. La première version lancée en Californie eu connut des débuts difficiles mais elle permit de recevoir suffisamment des retours clients. Il apparut que ces derniers souhaitaient que le produit fasse l’ensemble de la déclaration, de la photo à la soumission électronique aux impôts.

Après avoir surmonté les difficultés techniques de cette évolution, le produit fût lancé au niveau de l’ensemble des Etats-Unis en 2011. Le lancement fut un succès avec 350 000 téléchargements les trois premières semaines.

 

L’arbre qui cache la forêt

Snaptax n’est pas une startup indépendante. Elle a été développée par Intuit America, un grand éditeur de solutions comptables pour les particuliers et les petites entreprises. Ceux qui furent chargés de développer Snaptax étaient des salariés payés. Ils venaient au bureau tous les jours comme n’importe quel salarié. Mais Eric Ries indique qu’ils avaient un profil d’entrepreneur.

Comme l’a identifié Clayton Christensen dans son livre Le dilemme de l’innovateur : dans le cadre du management général, l’innovation est essentiellement incrémentale. Elle permet l’amélioration de produits qui ont déjà trouvé leur marché. En même temps, elle échoue à créer des produits de rupture. Pourtant, seuls ces derniers sont capables d’apporter de nouvelles sources de revenu à long terme.

 

Innovation aux abords

En développant Snaptax, Intuit a donc trouvé le moyen de surmonter cet écueil. La structure avait été créée pour développer ce produit était un « îlot de liberté ». Il n’a ainsi pas été nécessaire de recruter des entrepreneurs stars. Il n’y a eu non plus de processus managérial avec un suivi constant. Au contraire, la direction d’Intuit s’est contentée de mettre en place une équipe de cinq personnes. Elles ont eu carte blanche pour innover. L’innovation est donc venue d’une décision du management de l’entreprise qui a tenu compte de deux choses :

  • le côté bottom up, décentralisé et imprévisible de l’innovation
  • la nécessité de mettre en place une discipline managériale qui soutiennent ceux qui créent tout en évaluant leurs réalisations.

Intuit avait déjà innové en lançant Turbotax en 1983, un outil qui anticipait l’arrivée des outils comptables pour les particuliers. Dix ans plus tard, la solution était devenu une référence du marché aux côtés de Microsoft Money. Mais dans les années 2000, l’entreprise ne parvenait plus à innover. Les lancements de nouveaux produits se traduisaient par des échecs. Eric Ries, en intervenant dans cette société remarqua que la saisonnalité étant importante dans le métier Intuit. L’amélioration produit avaient tendance à se focaliser sur une seule innovation qui était testée (retours clients) sur la période de fin d’année fiscale.

 

Innovation vs. politique d’entreprise

Aujourd’hui, le rythme est d’à peu près 70 tests par semaine. Les améliorations du site de production sont quotidiennes. Comme le fait remarquer le fondateur d’Intuit, Scott Cook, le faible nombre de feedbacks amène les employés à baser leur décision sur de l’arbitraire et à se comporter en politiciens pour les défendre.

Au contraire, l’accroissement des tests et feedbacks permet de démultiplier les idées. Elle permet également de transformer les employés en entrepreneurs. Pour Scott Cook, la difficulté ne vient pas des opérationnels mais des managers. Ces derniers sont formés à analyser : c’est-à-dire établir un plan et commenter l’écart par rapport à ce plan. Or ce n’est pas le contexte des innovations disruptives. Le sens de l’adaptation y est bien plus déterminant que le respect d’un plan.

 

L’innovation factory

Les entreprises installées doivent donc mettre en place des techniques pour favoriser une innovation disruptive de façon industrielle. Car le contexte de l’innovation disruptive nécessite une organisation conçue pour créer de nouveaux produits et services dans des conditions d’extrême incertitude.

Or les entreprises passent du temps à exploiter des innovations précédentes ou à favoriser les améliorations des métiers historiques. Ce temps est un un temps précieux que l’on consacre à des acquis à croissance limité.

Ce temps doit être consacré à mettre en place une démarche d’innovation industrielle, une usine à innovation (innovation factory). Cette orientation est nécessaire car même leurs métiers historiques sont aujourd’hui menacés par un contexte général favorable à l’innovation.

Mais l’innovation factory est différente des pôles de recherche des entreprises traditionnelles. Ces derniers sont trop souvent centrés sur des explorations technologiques qu’elles ne confrontent pas aux usages. Comme pour les startups, elle s’appuie sur les outils du lean startup. Toute structure chargée d’une innovation dans l’entreprise doit s’appuyer sur la boucle de feedback. Elle doit poser et définir ses hypothèses. Elle doit expérimenter.

Le développement de l’Innovation factory relève donc de la responsabilité du management de l’entreprise.

 

Photo : The Physical Rhythm Machine – Philip Vermeulen (NL) – Credits : Florian Voggeneder – Licence creative commons Checkoff – Licence Creative Commons

L’apprentissage validé – L’exemple d’IMVU

By Lotfi BENYELLES

Dans les grandes entreprises, le Business plan permet à des managers de rendre compte de leur avancement. Il seront récompensés ou sanctionnés en fonction des résultats obtenus. Dans le monde des startups, la qualité fondamentale de l’entrepreneur tient à sa capacité à mettre en place le « moteur de croissance » dans un contexte de grande incertitude. L’ apprentissage validé est le concept que propose Eric Ries pour décrire ce qui permet à l’entrepreneur d’ajuster ses actions et ses objectifs lors de la création de sa startup.

 

L’apprentissage validé

L’apprentissage validé est une mécanique d’analyse des informations. Elle suppose la mise en place d’hypothèses à vérifier, de tests réguliers et d’indicateurs fiables.

La méthode d’apprentissage validé que propose Eric Ries dans The Lean Startup (validated learning) vise à démontrer empiriquement les « vérités mesurables ». C’est-à-dire tout ce que l’on découvre au sujet du présent de notre entreprise et de ses perspectives. Cette mécanique d’apprentissage validé est le remède principal au problème que rencontrent la plupart des startups. Celles-ci se retrouvent ainsi souvent à mettre en place un plan conforme aux prévisions mais qui ne produit aucun résultat.

Malheureusement, l’apprentissage peut également devenir une excuse à postériori pour justifier des erreurs d’exécutions. L’entrepreneur devra donc veiller à ne pas transformer cette mécanique d’apprentissage en une bonne histoire à raconter dans le but de défendre sa carrière ou sa réputation.

 

L’exemple d’IMVU et la loi de Metcalfe

IMVU est la startup fondée par Will Harvey, Eric Ries et Matt Danzig en 2004. Ses créateurs souhaitaient initialement marier le tchat et la réalité virtuelle. Leur solution visait le public des détenteurs de comptes de messagerie en ligne (MSN, Messenger, etc…). Ces derniers pouvaient se constituer un avatar sur IMVU et communiquer ainsi avec ses amis.

Pour ses créateurs, l’interopérabilité devait être un facteur déterminant du succès de leur outil. Ils le voyaient ainsi comme une messagerie améliorée.

L’entreprise, en fédérant les usagers de différentes plateformes de tchat comptait tirer profit de la loi de Metcalfe. Selon cette loi, plus il y a de membres dans un réseau, plus le réseau a de la valeur. La valeur de chaque membre du réseau est déterminée par le nombre de personnes avec lesquelles cette personne peut communiquer. En consolidant potentiellement tous les utilisateurs de toutes les messageries, IMVU disposait donc énorme potentiel en terme de croissance et de vente de produits à une communauté très large.

Côté proposition de valeur au client, IMVU permettait d’accéder à ses amis qui utilisaient d’autres messageries que la sienne sans avoir à changer d’outil.

Pourtant, au lancement du produit, les ventes furent très faibles (300 $ par mois). Cette situation amena les créateurs à mettre en place des tests. Ils souhaitaient identifier ainsi ce qui limitait l’adoption du jeux par un plus grand nombre d’utilisateurs.

 

Tests utilisateurs

Les développeurs d’IMVU réalisèrent lors ces tests que les utilisateurs étaient plus attirés par les fonctionnalités de 3D qu’ils concevaient comme un jeu vidéo. Ils ne souhaitaient absolument pas partager leurs données de contacts et de réseau avec les autres utilisateurs du jeu. Il envisageaient par contre parfaitement d’être mis en contact de façon aléatoire avec d’autres joueurs avec lesquels ils pouvaient garder le contact ultérieurement au sein du jeu.

Les hypothèses posées par Eric Ries et IMVU étaient donc fausses. Les tests utilisateurs permirent de réaliser quel était le potentiel du jeu par l’analyse de l’action de testeurs devant une version inachevée de sa solution.

 

Un produit minimum suffisant

Eric Ries et ses compagnons découvrirent à cette occasion deux choses.

  • D’abord qu’une version inachevée d’un jeu est parfaitement suffisante dans une phase de test.
  • Ensuite que leur hypothèse de départ devait être reformulée. Les avatars 3D étaient un outil idéal pour faire connaissance en ligne. Les clients ne souhaitaient donc pas communiquer avec des personnes qu’ils connaissait déjà dans le monde réel.

Les équipes d’IMVU avaient passé un temps fou à travailler sur l’interopérabilité des messageries instantanées. Il apparaissait pourtant maintenant que cette fonction était inutile.

Le lean vise donc à tirer profit des enseignements que l’on peut réaliser avec les clients dès le démarrage de notre activité. Il permet d’éliminer les pertes de temps en plaçant le bénéfice client au centre du développement produit. Cela ne consiste pas à demander au client ce qu’il attend. Ce dernier n’en a aucune idée. Le choix arbitraire d’un produit innovant doit par contre être fait sur la base des bonnes hypothèses client. On l’a vu dans le cas d’IMVU, les clients voyaient le produit comme un jeu et non comme une messagerie.

 

Indicateurs de l’apprentissage validé

IMVU avait des indicateurs plats, incapables d’apporter le moindre apprentissage (nombre de ventes et d’utilisateurs recrutés). Or ce produit était intéressant pour ses fonctionnalités 3D et de mise en contact à l’intérieur du jeu. L’indicateur qui comptait était donc le nombre de clients utilisant IMVU pour faire connaissance en ligne.

C’est ainsi qu’il fut possible de mettre en place un modèle de croissance.

 

IMVU et le lean startup

IMVU est l’entreprise qui a permis d’établir le modèle du Lean Startup. Ce modèle s’est généralisé et est enseigné dans de nombreuses universités américaines y-compris Harvard. Mais Eric Ries met en garde, le modèle n’est pas un guide pratique déclinant des étapes à respecter en partant d’un faible objectif pour progresser vers de hauts revenus. Des travers sont à éviter. Par exemple, toutes les industries ne peuvent se satisfaire d’un prototype de qualité limitée. De même, un entrepreneur devra toujours se poser la question de savoir si un produit mérite bien être produit.

L’apprentissage validé n’est donc pas une recette. Il se base avant tout sur la déclinaison d’un business plan en une idée de produit en hypothèses à tester empiriquement.

 

Photo : Soybean Research Greenhouse – Credits : United Soybean Board or the Soybean

Les indicateurs de l’innovation

By Lotfi BENYELLES

Le système analytique de l’innovation (Innovation accounting) proposé par Eric Ries permet de tester les hypothèses de l’entrepreneur à partir d’un système d’analyse quantitative. Ce dernier mesurera ainsi :

  • la rentabilité de l’acquisition des nouveaux clients,
  • la fidélisation et la rétention auprès des clients et / ou vendeurs
  • le chiffre d’affaire généré auprès des clients existants.

 

Au démarrage d’une startup, trois moments

L’ Innovation accounting distingue trois passages dans le démarrage de la startup :

  • Le premier moment, celui où le MVP est créé et doit produire les premières informations ;
  • Le second moment, celui où il faut adapter le moteur de croissance pour atteindre sa cible. Cet ajustement fait bien entendu l’objet de plusieurs tentatives ;
  • Le troisième moment, pivoter ou persévérer. Si l’entreprise progresse, c’est qu’elle engrange les connaissances nécessaires à sa croissance. Son système analytique d’innovation (Innovation accounting) fonctionne et elle peut poursuivre sur cette voie. Si ce n’est pas le cas, le management doit établir clairement que la stratégie actuelle ne produit pas les résultats attendus. La startup doit donc revoir ses hypothèses. C’est le pivot.

 

Innovation accounting – Concevoir un MVP adapté aux enseignements que l’on souhaite tirer

Une startup devra donc commencer par établir sa stratégie de test idéale. Un MVP pourra être distribué auprès de différents publics pour tester différentes hypothèses.

Tester l’interêt du client

Au moment du test, il conviendra de tester d’abord l’intérêt du client avec des outils marketing et promotion (exemple : achat de trafic, publicité, etc.). Si son intérêt est capté, on pourra alors passer au test du produit en lui-même.

Tester le produit

Cette phase permettra ainsi d’engranger les données qui serviront de base au modèle de croissance. On testera alors les principaux indicateurs qui transforment les prospects de la phase précédente en clients. Les indicateurs : taux de conversion, taux de souscription aux version d’essai, souscriptions définitives, durée de vie client, etc.

Ces indicateurs permettent de soulever plusieurs questions concernant son produit :

  • Mon produit intéresse-t-il des clients de manière continue?
  • Peut-il s’appuyer sur la publicité?
  • Est-il dans les standard de son marché en terme de taux de rétention, etc.

A l’issue du test, l’entrepreneur devra avoir une vision claire de la façon dont les clients s’intéressent à son produit et souscrivent au service. Même des résultats extrêmement mauvais sont l’occasion d’un apprentissage.

 

Mesurer les impacts de l’ajustement de son MVP

Supposons une entreprise dont le driver de croissance est l’activation de nouveaux clients. Celle-ci n’a pas encore atteint son taux de souscription souhaité.

Elle testera les premières améliorations qui, selon elle, rendent le produit plus simple à utiliser et accélèrent son adoption chez de nouveaux clients.

Un changement dans la conception produit doit donc nécessairement impacter le comportement client, et cette évolution doit être mesurable.

Par la même occasion, elle devra aussi s’assurer que son indicateur de référence, le taux d’activation, est bien le bon indicateur de mesure des modifications effectuées.

Ces ajustements permettront la réalisation progressive d’un produit et d’une stratégie commerciale qui se rapprocheront de ceux envisagés dans le business plan.

Les modifications peuvent ne pas entrainer d’amélioration mesurable des indicateurs. Dans ce cas, l’entrepreneur ne travaille pas avec les bonnes hypothèses. Il est temps pour lui de pivoter.

 

Tester son tunnel de vente avec de l’achat de trafic

Dans le cas d’IMVU, l’entreprise avait corrigé ses premières hypothèses. Le jeu (et son adoption) était le fait d’un public de gamers attirés par des rencontres virtuelles et non plus par un public de « tchateurs » souhaitant communiquer auprès de leur réseau existant. L’hypothèse avait été corrigée et l’entreprise avait effectué son premier pivot.

Mais même revu, le produit contenait de nombreux défauts et les ventes étaient faibles. Les équipes d’IMVU supposèrent que cela venait de la faible qualité du produit. Ils commencèrent donc à l’améliorer, mais cela fut sans effet sur le volume des ventes.

C’est alors qu’il fut décidé de mettre en place un suivi du tunnel de vente qui évaluait les indicateurs suivants : enregistrement du joueur, téléchargement, souscription au test, utilisation renouvelée et achat.

Pour tester ce tunnel de vente, l’équipe d’IMVU alloua un budget de 5$/jour (100 visites). L’objectif était de drainer un trafic suffisant et de tester le taux de conversion à chaque étape du tunnel. Cette faible dépense fût riche en enseignements. Chaque nouvelle amélioration pouvait maintenant être testée concrètement.

 

L’analyse de cohorte pour affiner ses tests

L’amélioration du chiffre d’affaire ne vint pas. Eric Ries et son équipe se décidèrent à lancer une analyse de cohorte. C’est-à-dire à analyser leurs indicateurs non plus de façon globale, mais par groupe de clients.

Ils focalisèrent leur attention sur les indicateurs d’un groupe client qui avait souscrit en février 2005. Il apparut que pour ces derniers, le taux d’utilisation renouvelé était passé de 5% à 20% du nombre de joueurs enregistrés. Mais il n’y eut pas d’augmentation de chiffre d’affaire. Le taux de conversion restait bloqué à 1%.

 

L’ajustement du moteur de croissance

Les informations fournies par ces indicateurs permirent d’aller plus loin dans les questions posées à des panels clients. Dans les premières phases de création de la société, le réflexe était d’écarter les utilisateurs qui ne s’appropriaient pas le jeu. Avec ces indicateurs, il devenait possible de les interroger et de leur demander qu’est-ce qu’il n’allait pas dans les améliorations qui étaient apportées au jeu.

Ces nouvelles expérimentations permirent d’abord de ne plus développer sans test client préalable. De plus, cela instaura un dynamique où les équipes apprirent des tests et purent soumettre de nouvelles idées qui s’avérèrent plus productives. C’est ce que Ries appelle l’ajustement du moteur de croissance.

En souscrivant à la logique de l’ajustement du moteur de croissance, nous nous focalisons donc sur ce qui fait la valeur de la startup. Ses hypothèses de travail, sa capacité à traiter l’information et son interaction client. Cela permet également de lever la pression sur les équipes de production. De nombreuses entreprises font porter la responsabilité des baisses de ventes sur le dos d’équipes qui travailleraient mal.

 

Attention aux indicateurs de vanité

En fait, ces reproches révèlent l’utilisation d’indicateurs de vanité. Ces derniers sont impossibles à retraduire en action. Elles peuvent même amener à des actions commerciales discutables visant à doper ces mêmes indicateurs de vanité (Visites, CA, Ventes, etc.). Nous en sommes les témoins quotidiens : remises en tout genre, produits encombrés de gadgets inutiles, démos produits surchargées, etc. Elles occasionnent aussi l’arrivée de consultants à la plus value discutable venus pour « mettre de l’ordre« .

Il s’agit généralement là d’une inversion des causes et des conséquences. Il traduit un réflexe ordinaire de défaussement, la politique d’entreprise dont parle le président d’Intuit. Pour les startup, ce réflexe n’est d’aucune utilité et il révèle les premiers indices d’un abandon du côté de l’entrepreneur.

En fait, l’efficacité opérationnelle d’une startup dépend de la seule qualité des informations collectées et analysées. Plutôt que de dépenser son argent en opérations commerciales ou en conseil, une startup doit donc se focaliser sur l’élaboration d’indicateurs qui lui permettront de construire un business durable.

Les métriques de vanité posent d’autant plus problème qu’elles peuvent coïncider avec une mise en œuvre superficielle de la méthode lean.

 

Cohorte et Split testing

Ries donne l’exemple de Grockit, une startup qui avait mis place un réseau social de cours en ligne. Celle-ci suivait l’adoption de ses évolutions avec ses indicateurs de vente. Très disciplinée, l’équipe déployait de façon régulière des améliorations de son produit mais ne parvenait pas à agir sur les ventes qui montaient ou baissaient sans lien avec les améliorations du produit. Cette situation provenait de deux problèmes :

  • Les modifications effectuées n’étaient pas testées auprès des clients ;
  • Grockit utilisait un indicateurs de vanité (les ventes) pour mesurer l’effet de ses modifications.

Grockit (avec Eric Ries) mit en place deux outils :

  • L’analyse par cohorte qui permettait d’identifier les performances spécifique de groupes clients
  • Un split testing offrant plusieurs versions du site à tester et permettant de savoir si une amélioration était réellement plus performante. Pour que le split-test soit correct, il fallait bien sûr que le catalogue soit identique et que seul le design du site web varie d’une version à l’autre.

Avec ces deux outils il devenait possible de comparer la version existante du site avec celle contenant une modification.

 

Choisir les bons indicateurs

Grockit remplaça le suivi des ventes par une analyse de conversion (Visite => inscription => cours d’essai => achat). Il devenait ainsi possible de mesurer l’impact des modifications effectuées.

Cela permit à l’entreprise de découvrir que les fonctionnalités sociales sur lesquelles elle mettait l’accent n’étaient pas nécessairement les plus souhaitées. Les étudiants souhaitaient au contraire avoir le choix entre des études en solo ou des études en groupe.

 

Cadencer le rythme des tests avec la méthode Kanban

Les tests furent effectués selon la méthode agile Kanban. Les améliorations se déploient en quatre étapes ou seaux (buckets) :

Innovation Accounting

La méthode Kanban appliquée au Lean Startup

  • Backlog : Améliorations non encore développées
  • In progress : Améliorations en cours de développement
  • Built : Améliorations finalisées mais non encore validées
  • Validated : Amélioration déployées et validées

Deux choses sont à noter :

  • Un seau ne peut contenir plus trois améliorations
  • Une seule amélioration doit être livrée à la fois (quatrième seau).

Les autres améliorations se placent dans une file d’attente. Tant que l’amélioration n’a pas généré d’enseignement, on ne peut pas livrer une nouvelle amélioration. Cette situation est très frustrante pour les équipes de développements. Mais ces dernières peuvent travailler sur les améliorations contenues dans les autres seaux.

Du côté des équipes clients, cela demande un échange constant avec les utilisateurs pour tirer les enseignements au sujet des améliorations apportées.

En suivant cette méthode, Grockit réalise qu’un processus d’enregistrement simplifié (lazy registration) ne changeait rien au taux de conversion. Cette fonctionnalité vue comme essentielle par les équipes était en fait complètement inutile.

Pour Grockit, un enseignement principal fut tiré. La solution avait atteint sa maturité et ne nécessitait plus d’améliorations significatives. Par contre, il convenait mainteanant d’adresseer de nouveaux publics et d’augmenter les actions marketing. L’investissement porta ainsi sur l’enrichissement de l’offre de cours.

 

L’indicateur est actionnable, accessible et auditable

Actionnable

Un indicateur doit d’abord être actionnable. C’est-à-dire qu’il doit établir clairement l’action à mener à la lecture des données retournées. C’est en cela que les vente ou un nombre de produits vendus ne sont en rien des indicateurs actionnables. Quelle action peut-être déduite d’une baisse des ventes ? Cette absence d’actionnabilité des indicateurs de vanité est à l’origine de l’éternel argument : c’est la faute de l’autre.

Les métriques actionnables permettent donc d’éviter ce problème. Les causes et les effets associés à cet indicateur sont clairement établis. L’indicateur retrouve alors sa fonction, celle d’apporter un enseignement.

Accessible

Accessible veut dire deux choses :

  • Le rapport contenant les indicateurs doit-être le plus lisible et ses indicateurs compréhensibles.
  • Ses informations doivent-être partagées au sein de la startup.

Les informations d’un rapport doivent pouvoir être ramenées à des publics. Côté cause, les clients doivent-être identifiables (ou leur comportement). Côté effets, les actions qu’ils amènent sont simples à adresser par les équipes en place. Ries utilise l’expression : « Metrics are people too« . Plutôt que de traduire l’expression littéralement et fausser son sens, il faut la comprendre comme : « les indicateurs se rapportent à des individus ».

C’est pour cela que les analyses de cohorte sont essentielles. Elles permettent de déceler des comportements spécifiques et de donner un contexte aux indicateurs de transformation du tunnel de vente.

Auditable

Dans la mesure où les indicateurs se rapportent à des individus, ils doivent rester auditables. C’est à dire vérifier qu’ils se rapportent à des faits établis. Pour cela les reporting et système d’analyse de la donnée doivent rester le plus près possibles du système de production. Il faut au maximum éviter les retraitements dans des systèmes intermédiaires ou par des business analysts.

 

Photo : Indicators – Credits David Lee – Licence Creative Commons

Le MVP, produit minimum viable

By Lotfi BENYELLES

Une startup se développe généralement grâce à un seul produit. C’est lui qui va justifier l’ensemble des efforts réalisés par l’entrepreneur et ses équipes. Mais comme nous l’avons vu dans les articles précédents, il n’est pas plus important que les clients et les informations que ces derniers vont communiquer. C’est pour cela qu’au centre de la startup, nous trouvons la boucle de feedback. Elle permet grâce à l’expérimentation de poser une première version minimale du produit au client. Ce produit que la communauté lean nomme généralement MVP, produit minimum viable (Minimum viable product). Eric Ries rappelle que Sa finalité est de recueillir des informations précieuses qui permettront de tester nos hypothèses et faire évoluer de nouveau le produit.

 

Minimiser les développements

Le produit minimum viable n’est pas destiné au marché final. Il s’adresse à une catégorie particulière de clients, les « early adopters ». Ces derniers sont des clients d’un genre particulier qui acceptent un produit incomplet et qui imaginent ses fonctionnalités manquantes.

La plupart des entrepreneurs surestiment les fonctionnalités à fournir pour un premier produit. Or en cas de doute, il convient d’être le plus minimaliste possible.

Un bon moyen donc de minimiser ce développement est d’enrôler ces early adopters et leur faire essayer gratuitement le produit. Nous pouvons ici de confirmer l’hypothèse de valeur. Si un client accepte de souscrire un test du produit, c’est que l’entrepreneur est sur la bonne piste. Il conviendra donc de déterminer un seuil au delà duquel nous considérerons l’hypothèse de valeur comme confirmée. Imaginons que 10% de ceux qui testent un service y souscrivent au final. L’entrepreneur pourra dès-lors considérer qye son hypothèse de valeur est confirmée et son MVP peut continuer à évoluer sur les mêmes bases.

A partir de là, il devra mettre en place sa boucle d’apprentissage et se focaliser sur ce qui importe réellement au client.

 

Démarrer avec un MVP concierge

Le MVP concierge est un produit dont la conception va reposer sur un panel très limité de client constitué pour l’occasion. C’est comme ça qu’a été créée la startup Food on the table. Cette dernière met en contact des épiceries et des clients à partir des recettes que ces derniers souhaitent réaliser.

Food on the table a ainsi démarré avec un seul client. L’ensemble de l’équipe de la startup a servi ce premier client dans le seul but d’affiner son produit. Le prix fixé pour le service : 9,95$, soit le tarif envisagé pour une souscription en ligne. Comme dans le cas de Zappos, le prix du service n’était pas rentable. Mais il permettait de valider ses hypothèses posées à un coût plutôt limité en comparaison d’une étude de marché.

 

Apprentissage et évaluation des hypothèses

Le concierge MVP est donc entièrement dédié à l’apprentissage. Il permet d’évaluer la profession de foi et les hypothèses de l’entrepreneur. Il se différencie d’une maquette car l’hypothèse commerciale doit également être testée. L’early adopter doit être prêt à dépenser des sous pour le service offert. L’accroissement du nombre de client sera d’ailleurs l’opportunité d’un passage à un modèle plus automatisé. Ce sera alors l’occasion de tester ses hypothèses de croissance.

C’est un schéma assez proche qu’ont utilisé les créateurs d’Aardvark’s. Ces derniers souhaitaient créer un moteur de recherche capable de traiter des demandes plus subjectives que les requêtes Google. Comme « Donne moi le nom d’un bon restaurant dans ce quartier ouvert après la fin de mon film au ciné ».

L’outil devait compléter lui même la requête en posant des questions à l’utilisateur. Cela lui permettait d’affiner les éléments et les informations trop générales de la requête initiale. Quel cinéma ? Pour voir quel film ? Quel type de restaurant fréquentez-vous ? Etc.

Ce type d’outil étant basé sur un système d’apprentissage, il contenait de nombreuses inconnues. Ses créateurs devaient donc disposer de nombreuses données avant de lancer un développement.

Pour tester leurs hypothèses, les créateurs de la solution ont réceptionné les requêtes sous forme de message et y ont répondu manuellement. Le produit final à réaliser était très complexe et demandait de nombreuses vérifications de ce type avant d’engager des fonds. Ce test leur a permis de rejeter les idées qui leurs paraissaient prometteuses au départ et de se focaliser sur l’essentiel.

 

Le rôle de la qualité et du design pour un MVP

Le créateur doit donc se focaliser sur ce que son client percevra comme ayant de la valeur. Ceci amène à aborder la question du design de la solution. Il convient d’y consacrer le moins d’effort possible au début. Tant que le client final est inconnu, il est difficile de savoir sous quelle forme il souhaite voir le service délivré. C’est l’exemple d’IMVU qui fournissait un maximum d’effort sur les fonctions de messagerie de sa solution alors que les early adopters allaient par la suite valoriser les possibilités de jeux en ligne du produit.

 

Freins dans la réalisation du MVP

Les freins les plus courants sont généralement liés aux peurs que l’entrepreneur va avoir réels comme imaginaires. Contraintes légales, concurrents, nécessité de maintenir le secret, défense de sa marque, perception morale du produit, ect. On rejoint ici de façon plus sommaire le difficultés rencontrées par l’entrepreneur lorsqu’il se lance et exposées ici.

 

Des risques surestimés

Pour les risques juridiques, Eric Ries recommande de travailler avec un juriste spécialisé. Cela permettra ainsi de réduire le risque de violation d’un brevet tout en protégeant des créations.

Toutefois, ce risque est surestimé. Il y a abondance de bonnes idées et il est très difficile d’attirer l’attention dans le contexte actuel. Les startups ne sont donc pas si exposées. Quand l’attention du marché et des concurrents arrive, c’est que le MVP a atteint sa maturité et que notre produit dispose déjà d’un avantage. Le fait d’être copié pourra dès lors être vu comme une opportunité de renforcer la perception de valeur de son produit sur le marché.

Donc, plutôt que de tenter de protéger à tout prix son idée, le challenge pour le créateur est de créer un produit qui se développera. Un produit qui sera basé sur une boucle de feedback qui l’aidera à établir ses priorités.

 

Photo : Marcel Duchamp – (American, born France. 1887–1968) – 1951. Metal wheel mounted on painted wood stool, 51 x 25 x 16 1/2″ (129.5 x 63.5 x 41.9 cm)

Expérimenter et tester les hypothèses de sa startup

By Lotfi BENYELLES

Nous avons vu dans l’article précédent comment tester ses hypothèses. Dans son livre Eric Ries donne plusieurs exemples d’entreprises qui se sont retrouvées en situation de passer de l’idée au produit en réajustant leur hypothèses de départ.

 

L’exemple de Zappos

La première chose à savoir est qu’un test d’hypothèses n’empêche pas une vision ambitieuse à long terme. Le tests peut donc se dérouler de façon artisanale et aboutir à des enseignements qui nous permettront d’être plus ambitieux par la suite. C’est le cas de Zappos qui était devenue la plus grande boutique de chaussure en ligne avant son rachat par Amazon en 2009. Au début des années 2000, son fondateur Nick Swinmurn pressentait que les clients étaient maintenant prêts à acheter des chaussures en ligne (profession de foi).

 

Expérimentation

Pour tester cette hypothèse, il se mit d’accord avec un commerçant près de chez lui pour photographier son stock. Il publia les photos des modèles sur internet sous forme d’une boutique en ligne bien conçue. Il put tester ainsi son hypothèse principale : Y-a-t’il une demande pour la vente de chaussure en ligne ? A partir du moment où il pu répondre de manière de manière positive à cette question, d’autres questions vinrent :

  • Comment gérer les retours marchandises ?
  • Quelles sont les questions que le client se pose ?
  • Quelles sont les possibilités de paiement ?
  • Quels sont les coûts ?

Le prototype permit donc au fondateur de Zappos de recueillir des données sur ses clients. Il avait accès aux véritables comportements d’achat. Les incidents et les comportements inattendus lui donnèrent l’opportunité d’en apprendre plus sur le client et d’ajuster son produit et sa chaîne de distribution.

Le cas de Zappos est révélateur du fait qu’un petit essai très local peut nourrir une vision très ambitieuse à long terme.

 

Le business plan, un outil limité

Eric Ries donne aussi l’exemple de Caroline Barlerin, directrice de l’innovation sociale chezHewlett-Packard (HP). Elle souhaitait favoriser l’implication des salariés dans les programmes de soutien au bénévolat promus par la société. HP encourageait ses salariés à passer quatre heures ou plus de leur temps de travail dans du bénévolat. Mais le programme rencontrait peu de succès. La société comptait un grand nombre de salariés (+ de 100 000) et des compétences riches et variées. Ses dirigeants pensaient donc que la société pouvait avoir un impact social potentiel significatif.

La mission de Caroline Barlerin visait à transformer la force de travail d’HP en une force sociale agissant pour la communauté. Eric Ries nous invite à éveiller nos soupçons. Nous avons ici un ensemble d’hypothèses posées alors même qu’elles n’ont pas été vérifiées.

D’abord, est-ce que les salariés avaient envie d’associer leur entreprise à leur engagement communautaire ? Pourquoi les salariés ne candidataient pas à ce genre de programme alors qu’ils existaient déjà dans l’entreprise ? Ensuite, comment agir sur les habitudes de 100 000 salariés basés dans 170 pays différents ?

Caroline Barlerin avait un business plan. Il détaillait les actions à mener, le planning, les hypothèses financières, coûts et bénéfices attendus pour l’entreprise et la collectivité. Mais en réalité, elle proposait une vision sans savoir si celle-ci pouvait « prendre » (to be able to scale).

 

Profession de foi et hypothèses tester

Catherine devait donc formuler son postulat. Eric Ries utilise le mot profession de foi. Il proposa à Catherine une des deux formulations suivantes. Elles tournent toutes deux autour de la même idée.

  • L’entreprise a ces dernières années mis l’accent sur la rentabilité à court-terme. Les salariés ne sont pas satisfaits de cette évolution. Ils ont aujourd’hui envie de réaffirmer des valeurs collectives en donnant de leur temps à leurs communautés,
  • Une deuxième hypothèse pouvait-être la suivante. Les salariés ont besoin de donner du sens à leur mission. Ils seraient plus heureux s’ils utilisaient leur force de travail pour combiner des intérêts collectifs (communauté) avec des intérêts particuliers (HP).

Une fois la profession de foi établie, Catherine devait poser ses deux plus importantes hypothèses : l’hypothèse de valeur et l’hypothèse de croissance.

 

Hypothèse de valeur et hypothèse de croissance, rappel des définitions

L’hypothèse de valeur doit permettre de tester si le produit délivre bien sa promesse de valeur au client. Il est possible de demander l’opinion du client sur ce point, mais les opinions personnelles sont difficiles à restituer objectivement. L’expérimentation est donc plus précise. Ici, cela revient à tester ce que les salariés gagnent en faisant du bénévolat. Caroline pourrait identifier un petit nombre d’employés très intéressés par le bénévolat (early adopters). Elle verrait combien d’entre eux renouvellent l’opération une fois leur première mission terminée. Le temps passé par chaque salarié est l’indicateur de la mesure de l’hypothèse de valeur.

L’hypothèse de croissance doit permettre de tester comment les clients vont découvrir ce nouveau service. Comment va-t-on passer d’un petit groupe d’early adopters à une adhésion plus large à travers HP. Le programme doit pouvoir se répandre de façon virale. Mais pour tester cette hypothèse, Caroline devra mesurer le nombre d’early adopters qui passent le mot à leur collègue.

 

L’expérimentation est un produit

L’expérimentation est donc le premier produit proposé. Si ce premier test fonctionne, l’entrepreneur pourra accélérer en élargissant sa base d’early adopters. Il recrutera de nouveaux testeurs et lancer une nouvelle boucle d’amélioration du produit. L’avantage de ce mode opératoire est qu’à son lancement industriel, le produit aura déjà des clients et fonctionnera sur des hypothèses confirmées.

Eric Ries nous propose de nous inspirer de l’exemple de Kodak Gallery. Son manager, Mark Cook, souhaitait changer les habitudes du développement produit. Ce dernier était basé sur le modèle : spécification par le marketeur et réalisation par l’ingénieur. Il tenta alors d’imposer quatre questions préalablement à tout développement produit :

  1. Est-ce que les clients identifient les problèmes que nous tentons de résoudre pour eux
  2. S’il y avait une solution à leurs problèmes, est-ce que les clients l’achèteraient ?
  3. Est-ce qu’ils nous l’achèteraient ?
  4. Est-ce qu’il est possible de produire une solution à leur problèmes.

 

Revoir ses hypothèses

Il changea de méthode de développement alors que son équipe était chargée de développer des cartes photographiques toutes faites où les photos venaient s’incruster. Le projet était devenu techniquement trop complexe et sans garantie de succès car jamais testé auprès des clients. Lui est son équipe émirent alors deux hypoyhèses :

  1. Les clients préféraient créer des albums au sujet d’un événement : naissance, mariage
  2. Plusieurs clients pouvaient partager des photos dans un même album

Le premier prototype mis en place fut décourageant. Il ne permettait pas de créer des albums et les clients se plaignirent de sa pauvreté. Mais la frustration des clients permis en réalité de valider le besoin. Il convenait maintenant de confirmer que ces besoins étaient importants et non pas secondaires. Un questionnaire permit de récolter les informations supplémentaires. Les clients souhaitaient pouvoir établir des classements des photographies. Il devenait possible de lancer le produit sur des hypothèses vérifiées.

 

La laverie du village

En Inde, les services de laverie dans les villages continue de fonctionner de façon traditionnelle. Des dhobis récupèrent les vêtements, les lavent dans les rivières puis les essorent en les frappant contre les rochers avant de les déposer à sécher. Le service dure 7 à 10 jours. Les vêtements rendus ne sont pas toujours très propres.

Akshay Mehra avait travaillé plusieurs années chez Procter & Gamble Singapour. A son retour en Inde, il rejoignit « Village Laundry Services (VLS), créé par Innosight Ventures. Il organisa un certain nombre d’expérimentations au sein de sa nouvelle entreprise pour proposer un autre service de lavage aux habitants des villes et villages de son pays.

Pour sa première expérimentation, VLS monta une machine à laver à l’arrière d’un pickup. Le service fut testé dans les rues de Bengalore. L’expérience coûta moins de 8000$. La machine à laver n’était pas utilisée in-situ. Elle était là à des fins de marketing et le linge était pris en charge et amené dans une véritable laverie avant d’être restitué à la fin de la journée.

 

Un produit qui se finalise

L’expérience dura une semaine et le personnel de VLS s’aperçut que la difficulté venait justement de cette machine sur le pickup qui n’encourageait pas les passants à confier leur linge. Le service fut installé sur une camionnette et la machine à laver remplacée par un panier. L’ensemble ressemblait maintenant à un kiosk.

L’expérience fut concluante et pu être généralisée. VLS créa donc un service économique de lavage et de séchage. Avec un raccordement à l’eau, à l’électricité et grâce à l’utilisation de lessive industrielle, il fournissait un service perçu comme étant de meilleure qualité que celui des dhobis.

 

Le lean startup au gouvernement

Le CFPB est l’office américain de protection du consommateur. Il a été crée dans le cadre de la loi Dodd Frank de 2010 qui réformait Wall Street et le droit du consommateur. Doté de 500 millions de dollars de budget et employant de nombreux experts, il fonctionne comme une startup.

C’est ainsi que l’agence émis les hypothèses suivantes avant d’établir son mode de fonctionnement. La première d’entre elles était qu’il suffirait que les américains connaissent l’existence du CFBP pour que toute personne souhaitant de l’aide ait recours à ses services. L’hypothèse pouvait paraître raisonnable, mais il convenait de valider cette hypothèse. Que se passerait-il si les personnes concernées ne se voyaient pas comme des victimes ? S’ils avaient une perception différente de leur problèmes ? S’ils sollicitaient l’agence sur des problèmes qui ne relevaient pas de son domaine d’attribution ?

L’agence mis donc en place son expérimentation en ouvrant une ligne téléphonique automatisée. Le résultats des premiers appels passés permit d’en savoir plus sur les difficultés rencontrées par les consommateurs. Cette solution à faible coût permit à l’agence de se baser sur de véritables informations usagers avant d’engager son budget en dépenses.

La méthode Lean Startup ne se limite donc pas aux startups. Elle s’applique à tous les secteurs d’activité et à tout type d’industrie. Elle permet de déporter l’effort non plus sur la conception d’un plan, mais sur l’expérimentation.

 

Photo : Tinguely – Crédits : Twinka – Licence Creative Commons

Définir les hypothèses de sa startup

By Lotfi BENYELLES

Une startup a pour objectif de transformer une idée en produit. Au cœur de ce mécanisme, l’interaction client lui permet de récupérer des données qualitatives et quantitatives. Ces informations sont plus importantes que les investissements ou les récompenses reçues. Elles permettent d’évaluer et de recadrer les idées qui servent de base au produit et lui permettront de trouver sa clientèle et son marché. Mais avant d’en arriver là, le livre le Lean Startup propose d’identifier clairement la profession de foi et les hypothèses de sa startup. C’est à dire ce qui nous amènent à croire que notre produit va marcher et de les tester.

Boucle de feedback

La boucle de feedback est présentée dans son ordre opératoire, c’est-à-dire que on réalise, on apprend du produit mis en oeuvre puis on en retire les enseignements pertinents.

Hypothèses de sa startup

Eric Ries – Profession de foi et hypothèses de valeur et de croissance

Mais la difficulté se situe au niveau de l’interprétation des données qui amènent aux premiers apprentissage. En fonction de leur sensibilité, les entrepreneurs peuvent être amenés à avoir une interprétation biaisée. Des ingénieurs chercheront à avoir le meilleur produit possible, des managers voudront des informations toujours plus précises.

Hypothèses fondamentales

Il est donc fondamental de ne pas attendre la réalisation du premier produit et de tester son idée au fondement de la startup. Pour cela, Eric Ries propose de poser les hypothèses fondamentales de la création du produit :

  • La profession de foi : La croyance formulée par l’entrepreneur en un produit qui va marcher
  • L’hypothèse de valeur : L’hypothèse qui permet de penser que des clients trouveront le produit intéressant (le problème qu’il règle) ;
  • L’hypothèse de croissance : L’hypothèse qui pose comment les clients vont accéder au service

Dès le départ, ces hypothèses doivent être intégrées à la boucle de feedback, c’est à dire testées. Et les premiers enseignements devront amèner à la confirmation de ces hypothèses et à bâtir le produit minimum viable (MVP).

La boucle de feedback doit donc être installée dès l’élaboration du business plan. Chaque business plan est basé sur un ensemble d’hypothèses. Les entreprises managériales conventionnelles ont tendance à ne jamais réinterroger ces hypothèses une fois le projet lancé. Dans le cas du Lean, il s’agit justement de bâtir une organisation qui testera ces hypothèses de façon systématique. A tous les moments de la vie du projet.

La profession de foi

Dans les religions monothéistes, la profession de foi est au fondement de la vie religieuse d’un individu. En faisant sa profession de foi, une personne déclare sa croyance devant un publique. Nous retrouvons ici l’idée d’affirmer sa croyance, mais aussi de la soumettre à la connaissance du public et de susciter une réaction.

La difficulté vient du fait que les des professions de foi n’ont rien à voir avec la rationalité, elles sont basées sur des intuitions. Il n’est pas nécessaire d’étayer son intuition devant une assemblée de croyants. Mais ce n’est pas le cas pour l’entrepreneur. Dans le lean startup, il faut au contraire être en mesure d’expliciter sa croyance en la réussite d’un produit. C’est à cela que servent les hypothèses de valeur et les hypothèses de croissance.

Analogies

Or la plupart des entrepreneurs se contentent d’hypothèses vagues appuyées sur une analogie pour défendre leur produit. Eric Ries cite un exemple basé sur son expérience. Une startup A avançait que l’introduction du chargement progressif des images avait facilité le développement du web. La startup A soutenait ainsi qu’une entreprise X était parvenue à s’imposer sur le marché Y parce que son produit était très attendu et que le chargement progressif d’image le rendait enfin performant.

La startup A en profitait pour faire une analogie avec sa situation. Elle prévoyait que son produit allait connaître un succès comparable sur un marché B. Son produit était selon elle attendu par les clients de ce marché. De plus une technologie qui rendait son produit très performant était de plus en plus utilisée sur ce marché B.

Eric Ries souligne le fait qu’un tel argumentaire analogique n’est pas factuel. Il peut-être contesté sur plusieurs points. Le chargement progressif des images a-t-il réellement favorisé l’adoption du web ? De plus qu’est-ce qui permet d’avancer que le marché Y et le marché B son comparables ?

Il n’y bien sûr pas de problème à établir des analogies. Mais comme on le voit dans cet exemple, on vite fait de tomber dans simplisme. En s’appuyant sur ce type d’exemples, on tend à ignorer les situations complexes qui ont amené un produit à s’imposer sur un marché.

Antilogies

La profession de foi du startuper est un pari subjectif qui porte une grande part de non rationnel. Il faut donc se méfier des analogies parfaites qui ressemblent à des équations linéaires.

Ries suggère donc de s’appuyer à la fois sur l’analogie et l’antilogie au moment de définir sa profession de foi d’entrepreneur. Cette distinction provient du livre de Randy Komisar, « Getting to Plan B ».

Avec l’iPod, Steve Jobs et Apple avaient deux références, une analogique, le walkman de Sony qui pouvait permettre de penser que des clients étaient prêts à payer deux fois. D’abord pour un objet permettant d’écouter de la musique. Puis une autre fois pour la musique elle-même.

Il avait également une référence antilogique, celle de Napster qui laissait penser qu’ils n’étaient plus prêts à payer pour de la musique disponible en ligne gratuitement. La profession de foi posée par Steve Jobs fut donc que les clients pouvaient-être prêts à payer pour de la musique téléchargée à condition d’y apporter une valeur (légalité, étendue de l’offre musicale et bibliothèque personnelle simple à synchroniser). Sa profession de foi aboutit en un produit réussi car son hypothèse de valeur était correcte.

Destruction de valeur

Nous l’avons vu dans l’article sur Edison, ces récits de réussite masquent les échecs des autres et les accidents de parcours de ceux qui ont réussi. Pour qu’un entrepreneur puisse analyser sa trajectoire, il est donc nécessaire de comprendre précisément ce qui produit ces échecs. C’est à dire en quoi il créé et détruit de la valeur.

En effet, une fois les hypothèses posées, les premiers feedback peuvent nous indiquer qu’il faut poursuivre sur cette voie. Mais en l’absence de système d’analyse pertinent, des difficultés peuvent apparaître sans que nous soyons en mesure de les voir. Même des startups qui génèrent du chiffre d’affaire et de la rentabilité à court terme peuvent en réalité détruire la valeur.

Exemples

C’est l’exemple caricatural que donne Ries au sujet de l’ensemble des pyramides de Ponzi. On peut aussi penser au système bancaire dans les années qui précédèrent la crise de 2008.

Plus modestement, c’est la mésaventure récente qu’a connu une startup française de l’habillement. Ses indicateurs de croissance étaient parfaits (+ de 50% de croissance annuelle) mais pas sa rentabilité. Elle poursuivit malgré tout une phase de croissance externe en Europe financée par des investisseurs. La croyance de ses fondateurs étaient que dans le contexte du développement du commerce de l’habillement en ligne, il y avait une demande forte d’habillement moyen-haut de gamme (hypothèse de valeur). Ils devaient donc gagner rapidement des positions (hypothèse de croissance : croissance externe). Plus vite ils seraient en mesure d’imposer leur image, plus vite ils imposeraient leur canal de distribution. Les marges augmenteraient donc dans un second temps. Mais au bout de trois ans d’activité, l’entreprise se retrouva à court de liquidités et les investisseurs cessèrent de la soutenir. Elle fut liquidée.

Système d’apprentissage

Rien dans les hypothèses établies initialement par cette startup ne semble contestable. D’autres entreprises du même secteur ont réussi en partant de ces mêmes hypothèses et en s’adaptant progressivement. Mais dans le cas de cette entreprise, ses dirigeant sont revenus systématiquement auprès des investisseurs en demandant de financer des acquisitions externes. Il apparaît justement que le système d’apprentissage n’a pas été mis en place. Le modèle de cette entreprise pouvait-il être rentable ? Les dirigeants n’ont jamais mis en place le système qui leur permettait de répondre. Les hypothèses de départ n’ont donc jamais été confirmées mais les dépenses se poursuivaient. La confiance des investisseurs fût donc rompue.

Hypothèses et analytique de l’innovation

La seule façon de se maintenir dans un schéma de création de valeur et d’innovation est donc de poser dès le départ une méthode d’analyse. Celle-ci permettra d’évaluer le progrès de l’entreprise en apprenant de ce qui se passe sur le marché. C’est à dire auprès des clients, des concurrents, des fournisseurs, des distributeurs, etc. C’est ce qui permettra de savoir quelles hypothèses méritent d’être testées. Cela depuis le moment du lancement du produit et dans la vie future du produit. Ce point est fondamental car ce système d’apprentissage est un élément déterminant pour conserver tout le monde à bord, dans la durée. Equipes de production, dirigeants, investisseurs, etc.

Ce système que Ries appelle l’analytique de l’innovation (Innovation accounting) va au delà de la confirmation des hypothèses initiales. Il de permettra de bâtir un archétype de client et un produit minimum viable en formalisant les informations obtenues grâce au design thinking. Il permettra également d’ajuster ses hypothèses en fonction des enseignements que fera l’entrepreneur. C’est ce que nous verrons dans l’article suivant.

 

Credit photo : Gunar Sg – Licence Creative commons

La boucle de feedback

By Lotfi BENYELLES

Le livre d’Eric Ries, The lean startup, est devenu l’ouvrage classique de l’aide à la création d’une startup. Il offre un cadre méthodologique poussé pour le lancement d’une entreprise et d’un produit innovant. Depuis la sortie de ce livre en 2012, la communauté Lean s’est étendue et de nombreux ouvrages et auteurs ont enrichi le matériel méthodologique lié au développement de startups.

The lean startup

Au delà des PME, des grandes entreprises utilisent ces méthodes pour leur département d’innovation. Elles en reprennent le principe de l’innovation factory exploitant les ressources internes (R&D, Veille, Capacités opérationnelles) pour lancer de nouveaux produits sur le marché.

Certains des exemples donnés par Eric Ries sont datés comme exemples d’innovations. Ils sont même devenus symboles d’immobilisme. Kodak a fait faillite faute d’avoir su se renouveler. IMVU est aujourd’hui une société vieillissante qui peine à adapter son produit. HP de son côté n’est jamais devenue une entreprise citoyenne de référence partout dans le monde. Elle a au contraire été impliquée dans une gigantesque affaire de fraude d’échelle internationale. Il n’y a pas de problème à présenter des exemples qui ne confirmeront pas dans les années suivantes.

Poser ses hypothèses

Tout d’abord, le message du livre est d’apprendre à poser ses hypothèses de croissance et de valeur avant de se lancer. En effet, une entreprise innaboutie est à ce titre plus riche d’enseignements qu’une réussite parfaite.

L’idée de cet article est donc de produire une note de lecture assez fidèle du livre en soulignant ce qui en fait sa valeur. C’est à dire un excellent cadre de référence pour la création de startups. D’autres articles viendront par la suite pour confronter cette méthode à des retours d’expériences concrets et aux autres propositions plus récentes autour de la méthode Lean (notamment celle d’Ash Mauria).

Démarrer

Aux débuts du commerce en ligne, de nombreux projets se sont lancés à l’ancienne, à partir d’un business plan. Un supermarché en ligne avait ainsi réussi à collecter plusieurs milliards de dollars pour financer son développement. La conception du site web avait ainsi été faite au départ à partir d’une idée de ce que devrait être le commerce en ligne. Puis au lancement, les commerciaux se sont vu assigner des objectifs à atteindre. L’expérience tourna court. Le supermarché révolutionnaire n’atteint jamais la taille critique et les investissements furent perdus. Eric Ries en pointe la raison, le feedback client n’est intervenu qu’en bout de chaîne, bien après la conception du produit.

Le produit fut donc conçu sans connaissance des habitudes de consommation propres au commerce en ligne. Or dans le contexte des startups, cette prise de connaissance du client avant la conception est fondamentale. Elle s’obtient en créant dès le départ une boucle de feedback qui permettra à l’entrepreneur de prendre des décisions en tenant compte de l’ensemble des paramètres, et non pas uniquement de ceux de la production technique. Elle s’obtient également en mettant en place un cadre méthodologique de type managerial, car le lean startup est du management.

Just do it attitude vs. management

Créer une startup est donc un exercice de mise en place d’un cadre institutionnel. Il implique nécessairement du management. Or les entrepreneurs ont traditionnellement une aversion au management. Ils le considèrent généralement comme un frein à la créativité dont ils doivent faire preuve.

De nombreux entrepreneurs adoptent une attitude d’action permanente, une “just do it” attitude. Ils se privent ainsi de l’expérience que deux siècles d’histoire du management peuvent offrir.

Dans l’époque actuelle que l’auteur qualifie de renaissance entrepreneuriale, l’entreprenariat requiert une discipline managériale. Le manque de rigueur managériale dans l’entreprenariat est d’ailleurs la cause de nombreux échecs : des produits retirés des étals quelques semaines après leur lancement, des startups de haut niveau encensées par la presse puis vite oubliées ou un nouveau produit dans l’air du temps et qui ne trouve aucun utilisateur.

La méthode Lean Startup prend son nom du lean manufacturing inventé par Taiichi Ohno et Shigeo Shingo chez Toyota. Elle vise à éliminer les gâchis que les entrepreneurs réalisent. Il vise à aider ce dernier à savoir quand formaliser ses processus, son planning, quand mettre en place ses infrastructures ; et s’il faut le faire seul ou en partenariat.

Par exemple, il conviendra de privilégier des équipes rassemblant des compétences diverses plutôt que de mettre en œuvre une organisation avec un strict découpage fonctionnel (marketing, ventes, IT, etc.). Un tel découpage ne responsabilise les personnes qui sur leur domaine d’activité et réduit considérablement l’efficacité des boucles de feedback.

Conduite quotidienne vs. lancement de fusée

Eric Ries prend l’exemple de l’automobile où existent deux boucles de feedback. La première est celle à l’intérieur de l’engin. Chaque petite explosion dans le moteur fournit la force qui permet d’enclencher le mouvement des roues tout en déclenchant l’allumage qui permettra la prochaine explosion. Cette boucle est donc précise et réglée.

Pour l’auteur, les startups disposent du même genre de boucle qu’il nomme moteur de croissance. Chaque nouvelle version du produit est comparable à l’explosion dans un moteur. Elle enclenche le mouvement, la mise à disposition d’un premier produit. Elle permet également la réception d’informations qui seront déterminantes pour les prochaines versions.

La deuxième boucle de feedback comparable à celle d’une startup se situe entre le conducteur d’une voiture et le volant. Le feedback est immédiat et automatique. Nous n’y pensons pas, c’est un pilotage instinctif qui ici va jouer.

Ces schémas de feedbacks sont différents des opérations réglées nécessaires au lancement d’une fusée. Pourtant, pour le lancement d’une fusée, la gestion des feedbacks est limitée.

 

Eric Ries – La boucle de feedback

Business plan vs. boucle de feedback

Ainsi, la boucle de feedback est indispensable aux startups. Pourtant ces dernières continuent de s’appuyer sur des business plans. Elles sont ainsi plus souvent préparées pour des lancements de type fusée que pour la conduite au quotidien. Le business plan n’est donc pas l’outil de pilotage quotidien qui améliorera le produit et la startup à partir d’apprentissages.

La méthode lean Startup vise donc à mettre en place cette boucle de feedback. Elle permettra au créateur d’entreprise d’ajuster constamment son travail et celui de ses équipes en s’appuyant sur une démarche de réalisation / mesure / apprentissage (Build-Measure-Learn).

Illustration : Feedbag – Credits : Karl Horton

Blockchain – The Internet of Money

By Lotfi BENYELLES

Andy Antonopoulos (1974) est un ingénieur gréco-britannique qui a beaucoup contribué ces dernières années à diffuser les connaissances relatives au fonctionnement de la blockchain. Son dernier ouvrage « The internet of Money » est la transcriptions de présentations et de Ted talks donnés par l’auteur depuis 2014. Il y donne un aperçu du fonctionnement de la blockchain et du bitcoin. Il présente aussi les perspectives de ce nouveau système.

 

The Internet of Money

Dès le début de l’ouvrage d’Andy Antonopoulos, l’auteur souligne que pour bien comprendre l’intérêt du Bitcoin, il faut s’intéresser à son utilisation comme moyen d’échange et non comme outil de spéculation. Ce point n’est pas encore intégré par les commentateurs des quotidiens économiques.

Le bitcoin a été créée à partir d’une nouvelle technologie nouvelle, la blockchain. Cette dernière donne la possibilité de revenir à ce qu’est réellement la monnaie, une abstraction. La blockchain permet donc une nouvelle abstraction de la valeur dans l’histoire de la monnaie. Après les coquillages, le métal, la lettre de crédit, la monnaie fiduciaire dans sa version papier et digitale. Ce qui change avec la blockchain, c’est qu’elle repose sur une architecture décentralisée. Elle donne ainsi la possibilité de libérer financièrement ceux qui aujourd’hui sont écartés par l’institution bancaire centralisatrice. L’auteur désigne par là les personnes les plus pauvres au sein des sociétés occidentales et des citoyens des pays du tiers-monde.

QU’EST-CE QUE LA MONNAIE ?

La monnaie est un moyen de communication

La monnaie est d’abord un moyen d’expression. Sa valeur ne provient pas de sa matérialité (un papier coloré). Elle vient du fait que le billet de banque est un signe associé à l’idée de valeur. Andy Antonopulos utilise le terme langage ou de moyen de communication. En utilisant ce signe dans nos échanges, nous donnons forme à l’idée de valeur. Cette reconnaissance de la valeur n’est possible qu’à deux conditions :

  • D’abord parce que cette monnaie a une production contrôlée,
  • Ensuite parce qu’elle fait l’objet d’un usage (l’échange).

Michel Foucault dans « Les mots et les Choses » avait pointé le moment de cette prise de conscience de la nature linguistique de la monnaie par la pensée économique du XVIIème. En faisant de l’échange monétaire le fondement de la théorie de la monnaie et de la valeur, il devenait possible pour les économistes de penser la monnaie (l’or à l’époque) comme un signe et de la dissocier de l’abstraction qu’elle représentait : la valeur. Cette prise de conscience est installée dans la pensée économique. Mais cette abstraction de la monnaie n’est pas envisagée de façon consciente au quotidien. C’est parce que la monnaie est aussi un instrument de production d’un pouvoir politique verticalisé.

 

La monnaie est un instrument de contrôle social et de production du pouvoir politique

La monnaie est un artéfact de l’état-nation. Nous n’avons pas moyen de l’interroger. Nous baignons dedans dès notre naissance. Elle est fortement associée aux attributs de l’identité collective. La monnaie est pourtant une information. Dans une époque où la production de l’information s’est affranchie d’acteurs centraux comme les états ou la presse, la monnaie continue de dépendre du système verticalisé. L’Etat dispose du monopole de la production de monnaie). Les banques disposent du monopole de sa distribution. Au bas de l’échelle, nous avons les usagers, c’est à-dire tout le monde y compris les banques et l’Etat.

Dans la Construction de la réalité sociale, Robert Searle précise comment la l’usage de la monnaie comme réalité du monde est intégrée dans l’inconscient. Cela passe par un réseau de croyances qu’il appelle intentionnalités. Elles lui évitent ainsi de se reposer la question de la réalité des choses à chaque situation d’échange. La monnaie tient donc en tant que concrétisation de la valeur grâce à deux conditions. D’abord à la condensation entre l’objet et sa représentation (la valeur et le billet). Ensuite, grâce au fait qu’elle fonctionne en réseau avec un ensemble d’autres croyances. Parmi-elles, certaines sont nécessaires à la production du pouvoir politique. Ainsi, nous considérons qu’un état et ses institutions contribuent à produire ce que nous présupposons êtres nos « réalités ».

 

Innovation monétaire et évolution de la pensée

Foucault et Searle ont un grand avantage par rapport aux grands penseurs de la théorie économique, ils ne sont pas économistes. Il est donc intéressant de pointer que la dernière des innovations concernant la monnaie a été autorisée par un mouvement de la pensée (philosophie et anthropologie) qui a permis de poser la question du langage et des signes dans notre quotidien. Ce mouvement a permis de ramener à la conscience d’un plus grand nombre que l’information et la valeur pouvaient être des agents distincts de leur support. Ce mouvement de la pensée collective a fonctionné en dialogue avec les grandes innovations de notre époque, notamment celles qui ont permis de démultiplier les supports de l’information et maintenant, de la valeur.

LA BITCOIN ET LA BLOCKCHAIN

Tout d’abord, il convient de pointer ce que la blockchain n’est pas. La blockchain n’est pas un moyen de paiement. Elle n’est pas non plus une monnaie, ni même un système bancaire. C’est un plateforme qui permet de garantir des transactions de confiance. A partir du moment où une application permet de garantir des transactions de confiance, il est possible de créer de la monnaie. C’est ainsi qu’est né le bitcoin.

Son fonctionnement

Bitcoin n’est pas à proprement parler une monnaie mais une capacité d’achat. La valeur n’est pas détenue dans un portefeuille, elle est stockée dans la blockchain et ce que les deux parties peuvent se transmettre sont une capacité d’achat à laquelle correspond un message signé, une autorisation. Cette autorisation a deux références. La première est source de la transaction qui créé une entrée non dépensée dans la blockchain. La seconde correspond à la destination, c’est à dire la clé (ou l’adresse bitcoin) qui aura la possibilité de dépenser la valeur correspondante.

Un réseau minimaliste

Bitcoin est porté par un réseau minimaliste qui ne se soucie pas du contenu de l’information ni de la forme qu’elle prendra. Nous sommes proche du fonctionnement de l’internet avec le DNS. La technologie de résolution des noms de domaines internet ne se préoccupe pas de l’information qu’elle transmet. Ce peut-être de la voix, du texte, de la vidéo, le réseau ne s’en soucie pas. Il se contente de la transmettre l’information d’un point A à un point B. Cette architecture a permis de le développement de tous types de terminaux spécialisés : ordinateur, téléphones mobiles, box tv, caméras de surveillance connectées… Ce sont ces derniers qui évoluent avec les technologies et les usages. C’est donc ce qui explique la pérennité de l’internet depuis trente ans.

Réseaux intelligents vs. réseaux minimalistes

Nous sommes à l’opposé des réseaux intelligents chargés de traiter la donnée avant de la transmettre. C’était le cas de la téléphonie fixe. Le réseau des systèmes bancaires a été bâti dans les années 70 et 80. Il est lui aussi installé sur ce principe de réseau intelligent et de terminaux minimalistes. Ces réseaux intelligents sont incapables de proposer une innovation décentralisée. A l’inverse des réseaux minimalistes, toute évolution se fait depuis l’intérieur du système vers l’extérieur. Ils exigent dès-lors des modifications lourdes et rendent inopérants l’ensemble des terminaux en aval.

Bitcoin est donc un réseau minimaliste qui permet de pousser l’intelligence sur les bords. Il s’affranchit d’un point central et permet la créativité dans les usages.

Une transaction sûre

La transaction ne contient pas de données sensibles, la seule chose qu’elle contienne son l’adresse d’où provient la transaction, où elle va et le montant. Les nombreuses critiques dans les médias grand public sont donc discutables. Elles ne portent pas sur les qualités intrinsèques du bitcoin et de sa technologie mais essentiellement sur certains acteurs et leurs actions parfois répréhensibles légalement. Elles peuvent également porter sur sa trivialité, un message dépouillé, ce qui rendrait la monnaie sans valeur. Mais on a là, de la part de personnes dont c’est pourtant le métier une confusion entre la valeur et son support.

Avec le bitcoin, la monnaie ne peut plus être confondue avec son support. Elle nous amène à considérer celle-ci pour ses qualités intrinsèques, une idée partagée de la valeur. Le bitcoin permet ainsi de révéler la monnaie dans sa qualité première, dépouillée de tous les artifices que lui attribuent les acteurs du système vertical décrit plus haut. La valeur n’est pas produite par un état ou une banque, elle n’est pas renforcée par des taux d’intérêt, l’évolution des cours d’une devise ou des rendements. Quant au besoin de sécurité, nous nous apercevons grâce la blockchain qu’il est provoqué par l’insécurité systémique des back-offices bancaires. Nous avons a vu ces dernières années l’ensemble des points de fragilité de ces architectures. Ceci depuis la vulnérabilité au phishing jusqu’au fait qu’un trader puisse générer seul quatre milliards de pertes sur son portefeuille sans être contrôlé.

Un développement ralenti

Toutefois, nous sommes dans une étape les deux paradigmes continuent à exister. D’une part celui de la blockchain qui est un système de reconnaissance et d’échange de la valeur décentralisé. D’autre part, celui d’une monnaie attribut d’un pouvoir central et dont la valeur est associée ceux qui en produisent l’artefact. Nous devons comprendre le fonctionnement du premier à partir d’un système de reconnaissance de la valeur bâti sur les mots du second. Cela ralentit donc développement de la blockchain.

Les perspectives du bitcoin et de la blockchain

Le bitcoin aujourd’hui

Le bitcoin est encore limité aujourd’hui par des infrastructures qui ne sont pas adaptées à son développement. La création de nouveaux serveurs dédiés au mining se développe mais elles sont encore insuffisantes à ce jour. Ces limitations font que le délai constaté lors des transactions peut parfois s’avérer long. Par ailleurs, le système aussi est structurellement dépendant d’habitudes de circulation de la valeur entièrement dominées par le système bancaire. Les monnaies électroniques comme le bitcoin pourront donc être exploitées à leur plein potentiel lorsqu’elles s’affranchiront de la norme monétaire en vigueur dans les systèmes d’échange actuels.

L’auteur prend comme exemple le rôle de la route dans le développement de l’automobile ou celui le réseau électrique. Dans ce dernier cas, l’ensemble d’usages qui se sont développés avec le renforcement du réseau sont allés bien au delà de la seule ampoule qui en fut à l’origine.

Les utilisations potentielles

Nous aurons peut-être à l’avenir des systèmes d’échange plus adaptés aux transactions sur certains types de biens, les biens immobiliers par exemple. L’auteur propose de considérer la monnaie comme une application. Le contenu de l’application c’est la valeur ou l’information, la monnaie ne sert qu’à l’exécution de la transaction.

Des milliers de monnaies pourront être créées, elles exprimeront le besoin de s’organiser en communautés localisée ou distantes et disposeront de leurs propres systèmes d’échanges, de solidarités, etc.

Index monétaire

En cas de multiplication des monnaies basées sur des reconnaissances de valeur différentes et des capacités d’achat spécifiques à des communautés. Comment pourront nous avoir une vision d’ensemble de ce que nous possédons ? L’auteur envisage la mise en place d’indexes mesurables qui permettront d’informer de la valeur de l’ensemble de notre portefeuilles. Les fonctionnements des bourses est d’ailleurs comparable. Nous disposerons d’indexes qui nous permettront d’avoir une vision de la valeur d’ensemble d’un portefeuille exprimé dans une « métamonnaie » informative. Cela même si les monnaies qui le composent ne seront pas échangeables et que la méta-monnaie n’aura pas de valeur marchande en tant que telle.

Andy Antonopoulos prévoit que les banques elles mêmes feront évoluer leur technologies dans le sens de la blockchain. Mais cette adoption se fera en tentant de fermer un système ouvert, donc sans modifier les règles actuellement en vigueur dans la banque.

La bockchain comme facteur de souveraineté

Pour l’auteur, la blockchain est pensée pour être ouverte et restaurer la souveraineté des usagers. Cela de la même façon qu’Internet a libéré l’information du monopole de la presse. La diversité des sources d’information sur le web le démontre. En facilitant la diffusion de l’information, Internet a permis aux acteurs de se concentrer sur sa production.

La blockchain comme facteur d’inclusion

De la même façon, chacun de nous pourrait devenir banquier en utilisant son seul téléphone. C’est notamment l’exemple que donne Andy Antonopoulos. La blockchain permettra ainsi à un agriculteur du Kenya de trouver seul des moyens de financement. Cela sans passer par des intermédiaires ou des banques.

L’auteur pense également que la question de la propriété individuelle peut-être remise définitivement en cause par la blockchain. La blockchain et l’internet favoriseraient la constitution de communautés qui récuseraient les prescriptions des systèmes centraux (dont la propriété). Cela favoriserait ainsi les usage collectif. Une communauté malienne de Montreuil pourrait se constituer pour contribuer à l’équipement collectif du village dont tous sont originaires.

CRITIQUE

Un livre qui clarifie le rôle de la monnaie et présente les perspectives de la blockchain et du bitcoin

Le livre qui a le mérite d’attaquer le fonctionnement verticalisé de l’industrie monétaire. Il laisse entrevoir une dépossession du pouvoir de création de monnaie par l’Etat et les banques grâce aux systèmes distribués. Tout comme internet a remis en cause les monopoles sur l’information et la communication.

Le bitcoin pourra aider à établir des principes libres et égalitaires dans l’établissement de la valeur. Il va donc probablement changer le mode de perception et de fonctionnement de la monnaie.

L’usage ne garantit pas la vertu

Le médium ne peut malheureusement pas donner de la vertu aux intentions de celui qui souhaite l’utiliser. Rien ne dit que l’abondance soit une garantie de qualité. D’un côté nous avons l’exemple romantique de Twitter pendant les révolutions arabes. De l’autre, nous ne pouvons ignorer le trolling permanent des courants réactionnaires lors des élections. Pas plus que les entreprises de manipulation menées par des courants fanatiques.

Une souveraineté discutable

De plus, l’idée d’une souveraineté financière individuelle est discutable. Les nouveaux médias de l’internet n’ont pas produit que de la souveraineté.

Le contenu informatif dominant dans l’internet reste celui de la société citadine riche. Les sociétés des exclus, dont parle Andy Antonopoulos peinent toujours aujourd’hui à produire leur information. Vingt ans après la généralisation de l’internet, la plupart des communautés du monde se lisent à travers les mots des autres.

Blockchain, un facteur d’inclusion économique, mais…

La blockchain sera un facteur d’inclusion économique. Mais elle ne règlera pas à elle seule la grande question sociale de l’exclusion. Comme l’internet, elle peut-être le relai des exclusions constitutives de nos sociétés. Elle contribuerait au contraire à isoler encore plus des groupes aujourd’hui aux marges. Comme nous l’avons vu au début de l’article, la production de la valeur est un fait culturel et non pas technique.

On peut donc douter qu’en élargissant le champ du principe anthropologique d’établissement de la valeur, on finisse par dissoudre la question de la gouvernance collective dans une somme de gouvernementalités individuelles équivalentes. C’est la limite du raisonnement d’Andy Antonopoulos : la confusion des principes de liberté et d’égalité.

Confusion des principes d’égalité et de liberté

Que la capacité à créer des standards de valeur soit donnée à chaque individu n’est pas en soi une garantie d’égalité. Dans le développement de l’internet, nous avons ainsi vu apparaître de nouveaux acteurs dans la production de l’information. Certaines petites communautés se sont renforcées et ont gagné en autonomie. Mais ces petites communautés n’ont pas remis en cause l’Etat et les grands acteurs de la production de l’information. Notamment dans la production du discours politique. Les anciens schémas restent en vigueur. Dans certains cas la petite communauté contestatrice grossit. Elle se voit dès lors proposer l’intégration dans le modèle verticalisé de pouvoir. C’est ce que nous voyons avec la tentation du pacte avec des mouvements hier aux marges. C’est le cas avec l’extrême-droite en Europe. Ou encore avec l’intégration des islamistes au sud de la Méditerranée.

Dans les autres cas, la décentralisation est défendue fermement. Mais la défense du pouvoir verticalisé ramène la communauté contestatrice à l’infantilisation. C’est le sort auquel sont réduites les communautés participatives (Nuit debout). Internet a permis de multiplier leurs moyens de rassemblement et d’échange. Mais il n’ pas ébranlé le principe de la verticalité du pouvoir et son contrôle sur la production de l’information. Le pouvoir verticalisé comme mode de gouvernance s’est adapté. Il a développé un système de contrôle à postériori. D’autres fois, il s’approprie le débat pour mieux le taire en excluant ceux qui l’avaient initiés. La question des monopoles de la production des systèmes verticalisés que dénonce A. Antonopoulos n’est plus à l’ordre du jour depuis longtemps. Un système bien plus efficace l’a remplacé. C’est aussi déjà le cas pour la monnaie qui enferment les individus dans des verticalités (systèmes de fidélité, de bons d’achat, de points, etc.).

Un espace mais aussi un outil

Nous voyons donc qu’Internet et la blockchain peuvent produire des espaces de regroupement. Mais ces espaces sont déterminés anthropologiquement. Ce sont donc aussi des outils manipulables par les hommes. Surtout ceux qui possèdent le savoir-faire nécessaire. Les affaires récentes démontrent bien que le combat contre le contrôle et la la censure est une nécessité (Snowden, Wikileaks, Nuit debout, etc.). Mais la lutte contre la production horizontale du pouvoir ne se mènent pas dans l’espace des réseaux mais en dehors.

 

Photo : Shells – Credit : Squid Ink – Licence Creative Commons