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Les indicateurs de l’innovation

By Lotfi BENYELLES

Le système analytique de l’innovation (Innovation accounting) proposé par Eric Ries permet de tester les hypothèses de l’entrepreneur à partir d’un système d’analyse quantitative. Ce dernier mesurera ainsi :

  • la rentabilité de l’acquisition des nouveaux clients,
  • la fidélisation et la rétention auprès des clients et / ou vendeurs
  • le chiffre d’affaire généré auprès des clients existants.

 

Au démarrage d’une startup, trois moments

L’ Innovation accounting distingue trois passages dans le démarrage de la startup :

  • Le premier moment, celui où le MVP est créé et doit produire les premières informations ;
  • Le second moment, celui où il faut adapter le moteur de croissance pour atteindre sa cible. Cet ajustement fait bien entendu l’objet de plusieurs tentatives ;
  • Le troisième moment, pivoter ou persévérer. Si l’entreprise progresse, c’est qu’elle engrange les connaissances nécessaires à sa croissance. Son système analytique d’innovation (Innovation accounting) fonctionne et elle peut poursuivre sur cette voie. Si ce n’est pas le cas, le management doit établir clairement que la stratégie actuelle ne produit pas les résultats attendus. La startup doit donc revoir ses hypothèses. C’est le pivot.

 

Innovation accounting – Concevoir un MVP adapté aux enseignements que l’on souhaite tirer

Une startup devra donc commencer par établir sa stratégie de test idéale. Un MVP pourra être distribué auprès de différents publics pour tester différentes hypothèses.

Tester l’interêt du client

Au moment du test, il conviendra de tester d’abord l’intérêt du client avec des outils marketing et promotion (exemple : achat de trafic, publicité, etc.). Si son intérêt est capté, on pourra alors passer au test du produit en lui-même.

Tester le produit

Cette phase permettra ainsi d’engranger les données qui serviront de base au modèle de croissance. On testera alors les principaux indicateurs qui transforment les prospects de la phase précédente en clients. Les indicateurs : taux de conversion, taux de souscription aux version d’essai, souscriptions définitives, durée de vie client, etc.

Ces indicateurs permettent de soulever plusieurs questions concernant son produit :

  • Mon produit intéresse-t-il des clients de manière continue?
  • Peut-il s’appuyer sur la publicité?
  • Est-il dans les standard de son marché en terme de taux de rétention, etc.

A l’issue du test, l’entrepreneur devra avoir une vision claire de la façon dont les clients s’intéressent à son produit et souscrivent au service. Même des résultats extrêmement mauvais sont l’occasion d’un apprentissage.

 

Mesurer les impacts de l’ajustement de son MVP

Supposons une entreprise dont le driver de croissance est l’activation de nouveaux clients. Celle-ci n’a pas encore atteint son taux de souscription souhaité.

Elle testera les premières améliorations qui, selon elle, rendent le produit plus simple à utiliser et accélèrent son adoption chez de nouveaux clients.

Un changement dans la conception produit doit donc nécessairement impacter le comportement client, et cette évolution doit être mesurable.

Par la même occasion, elle devra aussi s’assurer que son indicateur de référence, le taux d’activation, est bien le bon indicateur de mesure des modifications effectuées.

Ces ajustements permettront la réalisation progressive d’un produit et d’une stratégie commerciale qui se rapprocheront de ceux envisagés dans le business plan.

Les modifications peuvent ne pas entrainer d’amélioration mesurable des indicateurs. Dans ce cas, l’entrepreneur ne travaille pas avec les bonnes hypothèses. Il est temps pour lui de pivoter.

 

Tester son tunnel de vente avec de l’achat de trafic

Dans le cas d’IMVU, l’entreprise avait corrigé ses premières hypothèses. Le jeu (et son adoption) était le fait d’un public de gamers attirés par des rencontres virtuelles et non plus par un public de « tchateurs » souhaitant communiquer auprès de leur réseau existant. L’hypothèse avait été corrigée et l’entreprise avait effectué son premier pivot.

Mais même revu, le produit contenait de nombreux défauts et les ventes étaient faibles. Les équipes d’IMVU supposèrent que cela venait de la faible qualité du produit. Ils commencèrent donc à l’améliorer, mais cela fut sans effet sur le volume des ventes.

C’est alors qu’il fut décidé de mettre en place un suivi du tunnel de vente qui évaluait les indicateurs suivants : enregistrement du joueur, téléchargement, souscription au test, utilisation renouvelée et achat.

Pour tester ce tunnel de vente, l’équipe d’IMVU alloua un budget de 5$/jour (100 visites). L’objectif était de drainer un trafic suffisant et de tester le taux de conversion à chaque étape du tunnel. Cette faible dépense fût riche en enseignements. Chaque nouvelle amélioration pouvait maintenant être testée concrètement.

 

L’analyse de cohorte pour affiner ses tests

L’amélioration du chiffre d’affaire ne vint pas. Eric Ries et son équipe se décidèrent à lancer une analyse de cohorte. C’est-à-dire à analyser leurs indicateurs non plus de façon globale, mais par groupe de clients.

Ils focalisèrent leur attention sur les indicateurs d’un groupe client qui avait souscrit en février 2005. Il apparut que pour ces derniers, le taux d’utilisation renouvelé était passé de 5% à 20% du nombre de joueurs enregistrés. Mais il n’y eut pas d’augmentation de chiffre d’affaire. Le taux de conversion restait bloqué à 1%.

 

L’ajustement du moteur de croissance

Les informations fournies par ces indicateurs permirent d’aller plus loin dans les questions posées à des panels clients. Dans les premières phases de création de la société, le réflexe était d’écarter les utilisateurs qui ne s’appropriaient pas le jeu. Avec ces indicateurs, il devenait possible de les interroger et de leur demander qu’est-ce qu’il n’allait pas dans les améliorations qui étaient apportées au jeu.

Ces nouvelles expérimentations permirent d’abord de ne plus développer sans test client préalable. De plus, cela instaura un dynamique où les équipes apprirent des tests et purent soumettre de nouvelles idées qui s’avérèrent plus productives. C’est ce que Ries appelle l’ajustement du moteur de croissance.

En souscrivant à la logique de l’ajustement du moteur de croissance, nous nous focalisons donc sur ce qui fait la valeur de la startup. Ses hypothèses de travail, sa capacité à traiter l’information et son interaction client. Cela permet également de lever la pression sur les équipes de production. De nombreuses entreprises font porter la responsabilité des baisses de ventes sur le dos d’équipes qui travailleraient mal.

 

Attention aux indicateurs de vanité

En fait, ces reproches révèlent l’utilisation d’indicateurs de vanité. Ces derniers sont impossibles à retraduire en action. Elles peuvent même amener à des actions commerciales discutables visant à doper ces mêmes indicateurs de vanité (Visites, CA, Ventes, etc.). Nous en sommes les témoins quotidiens : remises en tout genre, produits encombrés de gadgets inutiles, démos produits surchargées, etc. Elles occasionnent aussi l’arrivée de consultants à la plus value discutable venus pour « mettre de l’ordre« .

Il s’agit généralement là d’une inversion des causes et des conséquences. Il traduit un réflexe ordinaire de défaussement, la politique d’entreprise dont parle le président d’Intuit. Pour les startup, ce réflexe n’est d’aucune utilité et il révèle les premiers indices d’un abandon du côté de l’entrepreneur.

En fait, l’efficacité opérationnelle d’une startup dépend de la seule qualité des informations collectées et analysées. Plutôt que de dépenser son argent en opérations commerciales ou en conseil, une startup doit donc se focaliser sur l’élaboration d’indicateurs qui lui permettront de construire un business durable.

Les métriques de vanité posent d’autant plus problème qu’elles peuvent coïncider avec une mise en œuvre superficielle de la méthode lean.

 

Cohorte et Split testing

Ries donne l’exemple de Grockit, une startup qui avait mis place un réseau social de cours en ligne. Celle-ci suivait l’adoption de ses évolutions avec ses indicateurs de vente. Très disciplinée, l’équipe déployait de façon régulière des améliorations de son produit mais ne parvenait pas à agir sur les ventes qui montaient ou baissaient sans lien avec les améliorations du produit. Cette situation provenait de deux problèmes :

  • Les modifications effectuées n’étaient pas testées auprès des clients ;
  • Grockit utilisait un indicateurs de vanité (les ventes) pour mesurer l’effet de ses modifications.

Grockit (avec Eric Ries) mit en place deux outils :

  • L’analyse par cohorte qui permettait d’identifier les performances spécifique de groupes clients
  • Un split testing offrant plusieurs versions du site à tester et permettant de savoir si une amélioration était réellement plus performante. Pour que le split-test soit correct, il fallait bien sûr que le catalogue soit identique et que seul le design du site web varie d’une version à l’autre.

Avec ces deux outils il devenait possible de comparer la version existante du site avec celle contenant une modification.

 

Choisir les bons indicateurs

Grockit remplaça le suivi des ventes par une analyse de conversion (Visite => inscription => cours d’essai => achat). Il devenait ainsi possible de mesurer l’impact des modifications effectuées.

Cela permit à l’entreprise de découvrir que les fonctionnalités sociales sur lesquelles elle mettait l’accent n’étaient pas nécessairement les plus souhaitées. Les étudiants souhaitaient au contraire avoir le choix entre des études en solo ou des études en groupe.

 

Cadencer le rythme des tests avec la méthode Kanban

Les tests furent effectués selon la méthode agile Kanban. Les améliorations se déploient en quatre étapes ou seaux (buckets) :

Innovation Accounting

La méthode Kanban appliquée au Lean Startup

  • Backlog : Améliorations non encore développées
  • In progress : Améliorations en cours de développement
  • Built : Améliorations finalisées mais non encore validées
  • Validated : Amélioration déployées et validées

Deux choses sont à noter :

  • Un seau ne peut contenir plus trois améliorations
  • Une seule amélioration doit être livrée à la fois (quatrième seau).

Les autres améliorations se placent dans une file d’attente. Tant que l’amélioration n’a pas généré d’enseignement, on ne peut pas livrer une nouvelle amélioration. Cette situation est très frustrante pour les équipes de développements. Mais ces dernières peuvent travailler sur les améliorations contenues dans les autres seaux.

Du côté des équipes clients, cela demande un échange constant avec les utilisateurs pour tirer les enseignements au sujet des améliorations apportées.

En suivant cette méthode, Grockit réalise qu’un processus d’enregistrement simplifié (lazy registration) ne changeait rien au taux de conversion. Cette fonctionnalité vue comme essentielle par les équipes était en fait complètement inutile.

Pour Grockit, un enseignement principal fut tiré. La solution avait atteint sa maturité et ne nécessitait plus d’améliorations significatives. Par contre, il convenait mainteanant d’adresseer de nouveaux publics et d’augmenter les actions marketing. L’investissement porta ainsi sur l’enrichissement de l’offre de cours.

 

L’indicateur est actionnable, accessible et auditable

Actionnable

Un indicateur doit d’abord être actionnable. C’est-à-dire qu’il doit établir clairement l’action à mener à la lecture des données retournées. C’est en cela que les vente ou un nombre de produits vendus ne sont en rien des indicateurs actionnables. Quelle action peut-être déduite d’une baisse des ventes ? Cette absence d’actionnabilité des indicateurs de vanité est à l’origine de l’éternel argument : c’est la faute de l’autre.

Les métriques actionnables permettent donc d’éviter ce problème. Les causes et les effets associés à cet indicateur sont clairement établis. L’indicateur retrouve alors sa fonction, celle d’apporter un enseignement.

Accessible

Accessible veut dire deux choses :

  • Le rapport contenant les indicateurs doit-être le plus lisible et ses indicateurs compréhensibles.
  • Ses informations doivent-être partagées au sein de la startup.

Les informations d’un rapport doivent pouvoir être ramenées à des publics. Côté cause, les clients doivent-être identifiables (ou leur comportement). Côté effets, les actions qu’ils amènent sont simples à adresser par les équipes en place. Ries utilise l’expression : « Metrics are people too« . Plutôt que de traduire l’expression littéralement et fausser son sens, il faut la comprendre comme : « les indicateurs se rapportent à des individus ».

C’est pour cela que les analyses de cohorte sont essentielles. Elles permettent de déceler des comportements spécifiques et de donner un contexte aux indicateurs de transformation du tunnel de vente.

Auditable

Dans la mesure où les indicateurs se rapportent à des individus, ils doivent rester auditables. C’est à dire vérifier qu’ils se rapportent à des faits établis. Pour cela les reporting et système d’analyse de la donnée doivent rester le plus près possibles du système de production. Il faut au maximum éviter les retraitements dans des systèmes intermédiaires ou par des business analysts.

 

Photo : Indicators – Credits David Lee – Licence Creative Commons

Expérimenter et tester les hypothèses de sa startup

By Lotfi BENYELLES

Nous avons vu dans l’article précédent comment tester ses hypothèses. Dans son livre Eric Ries donne plusieurs exemples d’entreprises qui se sont retrouvées en situation de passer de l’idée au produit en réajustant leur hypothèses de départ.

 

L’exemple de Zappos

La première chose à savoir est qu’un test d’hypothèses n’empêche pas une vision ambitieuse à long terme. Le tests peut donc se dérouler de façon artisanale et aboutir à des enseignements qui nous permettront d’être plus ambitieux par la suite. C’est le cas de Zappos qui était devenue la plus grande boutique de chaussure en ligne avant son rachat par Amazon en 2009. Au début des années 2000, son fondateur Nick Swinmurn pressentait que les clients étaient maintenant prêts à acheter des chaussures en ligne (profession de foi).

 

Expérimentation

Pour tester cette hypothèse, il se mit d’accord avec un commerçant près de chez lui pour photographier son stock. Il publia les photos des modèles sur internet sous forme d’une boutique en ligne bien conçue. Il put tester ainsi son hypothèse principale : Y-a-t’il une demande pour la vente de chaussure en ligne ? A partir du moment où il pu répondre de manière de manière positive à cette question, d’autres questions vinrent :

  • Comment gérer les retours marchandises ?
  • Quelles sont les questions que le client se pose ?
  • Quelles sont les possibilités de paiement ?
  • Quels sont les coûts ?

Le prototype permit donc au fondateur de Zappos de recueillir des données sur ses clients. Il avait accès aux véritables comportements d’achat. Les incidents et les comportements inattendus lui donnèrent l’opportunité d’en apprendre plus sur le client et d’ajuster son produit et sa chaîne de distribution.

Le cas de Zappos est révélateur du fait qu’un petit essai très local peut nourrir une vision très ambitieuse à long terme.

 

Le business plan, un outil limité

Eric Ries donne aussi l’exemple de Caroline Barlerin, directrice de l’innovation sociale chezHewlett-Packard (HP). Elle souhaitait favoriser l’implication des salariés dans les programmes de soutien au bénévolat promus par la société. HP encourageait ses salariés à passer quatre heures ou plus de leur temps de travail dans du bénévolat. Mais le programme rencontrait peu de succès. La société comptait un grand nombre de salariés (+ de 100 000) et des compétences riches et variées. Ses dirigeants pensaient donc que la société pouvait avoir un impact social potentiel significatif.

La mission de Caroline Barlerin visait à transformer la force de travail d’HP en une force sociale agissant pour la communauté. Eric Ries nous invite à éveiller nos soupçons. Nous avons ici un ensemble d’hypothèses posées alors même qu’elles n’ont pas été vérifiées.

D’abord, est-ce que les salariés avaient envie d’associer leur entreprise à leur engagement communautaire ? Pourquoi les salariés ne candidataient pas à ce genre de programme alors qu’ils existaient déjà dans l’entreprise ? Ensuite, comment agir sur les habitudes de 100 000 salariés basés dans 170 pays différents ?

Caroline Barlerin avait un business plan. Il détaillait les actions à mener, le planning, les hypothèses financières, coûts et bénéfices attendus pour l’entreprise et la collectivité. Mais en réalité, elle proposait une vision sans savoir si celle-ci pouvait « prendre » (to be able to scale).

 

Profession de foi et hypothèses tester

Catherine devait donc formuler son postulat. Eric Ries utilise le mot profession de foi. Il proposa à Catherine une des deux formulations suivantes. Elles tournent toutes deux autour de la même idée.

  • L’entreprise a ces dernières années mis l’accent sur la rentabilité à court-terme. Les salariés ne sont pas satisfaits de cette évolution. Ils ont aujourd’hui envie de réaffirmer des valeurs collectives en donnant de leur temps à leurs communautés,
  • Une deuxième hypothèse pouvait-être la suivante. Les salariés ont besoin de donner du sens à leur mission. Ils seraient plus heureux s’ils utilisaient leur force de travail pour combiner des intérêts collectifs (communauté) avec des intérêts particuliers (HP).

Une fois la profession de foi établie, Catherine devait poser ses deux plus importantes hypothèses : l’hypothèse de valeur et l’hypothèse de croissance.

 

Hypothèse de valeur et hypothèse de croissance, rappel des définitions

L’hypothèse de valeur doit permettre de tester si le produit délivre bien sa promesse de valeur au client. Il est possible de demander l’opinion du client sur ce point, mais les opinions personnelles sont difficiles à restituer objectivement. L’expérimentation est donc plus précise. Ici, cela revient à tester ce que les salariés gagnent en faisant du bénévolat. Caroline pourrait identifier un petit nombre d’employés très intéressés par le bénévolat (early adopters). Elle verrait combien d’entre eux renouvellent l’opération une fois leur première mission terminée. Le temps passé par chaque salarié est l’indicateur de la mesure de l’hypothèse de valeur.

L’hypothèse de croissance doit permettre de tester comment les clients vont découvrir ce nouveau service. Comment va-t-on passer d’un petit groupe d’early adopters à une adhésion plus large à travers HP. Le programme doit pouvoir se répandre de façon virale. Mais pour tester cette hypothèse, Caroline devra mesurer le nombre d’early adopters qui passent le mot à leur collègue.

 

L’expérimentation est un produit

L’expérimentation est donc le premier produit proposé. Si ce premier test fonctionne, l’entrepreneur pourra accélérer en élargissant sa base d’early adopters. Il recrutera de nouveaux testeurs et lancer une nouvelle boucle d’amélioration du produit. L’avantage de ce mode opératoire est qu’à son lancement industriel, le produit aura déjà des clients et fonctionnera sur des hypothèses confirmées.

Eric Ries nous propose de nous inspirer de l’exemple de Kodak Gallery. Son manager, Mark Cook, souhaitait changer les habitudes du développement produit. Ce dernier était basé sur le modèle : spécification par le marketeur et réalisation par l’ingénieur. Il tenta alors d’imposer quatre questions préalablement à tout développement produit :

  1. Est-ce que les clients identifient les problèmes que nous tentons de résoudre pour eux
  2. S’il y avait une solution à leurs problèmes, est-ce que les clients l’achèteraient ?
  3. Est-ce qu’ils nous l’achèteraient ?
  4. Est-ce qu’il est possible de produire une solution à leur problèmes.

 

Revoir ses hypothèses

Il changea de méthode de développement alors que son équipe était chargée de développer des cartes photographiques toutes faites où les photos venaient s’incruster. Le projet était devenu techniquement trop complexe et sans garantie de succès car jamais testé auprès des clients. Lui est son équipe émirent alors deux hypoyhèses :

  1. Les clients préféraient créer des albums au sujet d’un événement : naissance, mariage
  2. Plusieurs clients pouvaient partager des photos dans un même album

Le premier prototype mis en place fut décourageant. Il ne permettait pas de créer des albums et les clients se plaignirent de sa pauvreté. Mais la frustration des clients permis en réalité de valider le besoin. Il convenait maintenant de confirmer que ces besoins étaient importants et non pas secondaires. Un questionnaire permit de récolter les informations supplémentaires. Les clients souhaitaient pouvoir établir des classements des photographies. Il devenait possible de lancer le produit sur des hypothèses vérifiées.

 

La laverie du village

En Inde, les services de laverie dans les villages continue de fonctionner de façon traditionnelle. Des dhobis récupèrent les vêtements, les lavent dans les rivières puis les essorent en les frappant contre les rochers avant de les déposer à sécher. Le service dure 7 à 10 jours. Les vêtements rendus ne sont pas toujours très propres.

Akshay Mehra avait travaillé plusieurs années chez Procter & Gamble Singapour. A son retour en Inde, il rejoignit « Village Laundry Services (VLS), créé par Innosight Ventures. Il organisa un certain nombre d’expérimentations au sein de sa nouvelle entreprise pour proposer un autre service de lavage aux habitants des villes et villages de son pays.

Pour sa première expérimentation, VLS monta une machine à laver à l’arrière d’un pickup. Le service fut testé dans les rues de Bengalore. L’expérience coûta moins de 8000$. La machine à laver n’était pas utilisée in-situ. Elle était là à des fins de marketing et le linge était pris en charge et amené dans une véritable laverie avant d’être restitué à la fin de la journée.

 

Un produit qui se finalise

L’expérience dura une semaine et le personnel de VLS s’aperçut que la difficulté venait justement de cette machine sur le pickup qui n’encourageait pas les passants à confier leur linge. Le service fut installé sur une camionnette et la machine à laver remplacée par un panier. L’ensemble ressemblait maintenant à un kiosk.

L’expérience fut concluante et pu être généralisée. VLS créa donc un service économique de lavage et de séchage. Avec un raccordement à l’eau, à l’électricité et grâce à l’utilisation de lessive industrielle, il fournissait un service perçu comme étant de meilleure qualité que celui des dhobis.

 

Le lean startup au gouvernement

Le CFPB est l’office américain de protection du consommateur. Il a été crée dans le cadre de la loi Dodd Frank de 2010 qui réformait Wall Street et le droit du consommateur. Doté de 500 millions de dollars de budget et employant de nombreux experts, il fonctionne comme une startup.

C’est ainsi que l’agence émis les hypothèses suivantes avant d’établir son mode de fonctionnement. La première d’entre elles était qu’il suffirait que les américains connaissent l’existence du CFBP pour que toute personne souhaitant de l’aide ait recours à ses services. L’hypothèse pouvait paraître raisonnable, mais il convenait de valider cette hypothèse. Que se passerait-il si les personnes concernées ne se voyaient pas comme des victimes ? S’ils avaient une perception différente de leur problèmes ? S’ils sollicitaient l’agence sur des problèmes qui ne relevaient pas de son domaine d’attribution ?

L’agence mis donc en place son expérimentation en ouvrant une ligne téléphonique automatisée. Le résultats des premiers appels passés permit d’en savoir plus sur les difficultés rencontrées par les consommateurs. Cette solution à faible coût permit à l’agence de se baser sur de véritables informations usagers avant d’engager son budget en dépenses.

La méthode Lean Startup ne se limite donc pas aux startups. Elle s’applique à tous les secteurs d’activité et à tout type d’industrie. Elle permet de déporter l’effort non plus sur la conception d’un plan, mais sur l’expérimentation.

 

Photo : Tinguely – Crédits : Twinka – Licence Creative Commons

La boucle de feedback

By Lotfi BENYELLES

Le livre d’Eric Ries, The lean startup, est devenu l’ouvrage classique de l’aide à la création d’une startup. Il offre un cadre méthodologique poussé pour le lancement d’une entreprise et d’un produit innovant. Depuis la sortie de ce livre en 2012, la communauté Lean s’est étendue et de nombreux ouvrages et auteurs ont enrichi le matériel méthodologique lié au développement de startups.

The lean startup

Au delà des PME, des grandes entreprises utilisent ces méthodes pour leur département d’innovation. Elles en reprennent le principe de l’innovation factory exploitant les ressources internes (R&D, Veille, Capacités opérationnelles) pour lancer de nouveaux produits sur le marché.

Certains des exemples donnés par Eric Ries sont datés comme exemples d’innovations. Ils sont même devenus symboles d’immobilisme. Kodak a fait faillite faute d’avoir su se renouveler. IMVU est aujourd’hui une société vieillissante qui peine à adapter son produit. HP de son côté n’est jamais devenue une entreprise citoyenne de référence partout dans le monde. Elle a au contraire été impliquée dans une gigantesque affaire de fraude d’échelle internationale. Il n’y a pas de problème à présenter des exemples qui ne confirmeront pas dans les années suivantes.

Poser ses hypothèses

Tout d’abord, le message du livre est d’apprendre à poser ses hypothèses de croissance et de valeur avant de se lancer. En effet, une entreprise innaboutie est à ce titre plus riche d’enseignements qu’une réussite parfaite.

L’idée de cet article est donc de produire une note de lecture assez fidèle du livre en soulignant ce qui en fait sa valeur. C’est à dire un excellent cadre de référence pour la création de startups. D’autres articles viendront par la suite pour confronter cette méthode à des retours d’expériences concrets et aux autres propositions plus récentes autour de la méthode Lean (notamment celle d’Ash Mauria).

Démarrer

Aux débuts du commerce en ligne, de nombreux projets se sont lancés à l’ancienne, à partir d’un business plan. Un supermarché en ligne avait ainsi réussi à collecter plusieurs milliards de dollars pour financer son développement. La conception du site web avait ainsi été faite au départ à partir d’une idée de ce que devrait être le commerce en ligne. Puis au lancement, les commerciaux se sont vu assigner des objectifs à atteindre. L’expérience tourna court. Le supermarché révolutionnaire n’atteint jamais la taille critique et les investissements furent perdus. Eric Ries en pointe la raison, le feedback client n’est intervenu qu’en bout de chaîne, bien après la conception du produit.

Le produit fut donc conçu sans connaissance des habitudes de consommation propres au commerce en ligne. Or dans le contexte des startups, cette prise de connaissance du client avant la conception est fondamentale. Elle s’obtient en créant dès le départ une boucle de feedback qui permettra à l’entrepreneur de prendre des décisions en tenant compte de l’ensemble des paramètres, et non pas uniquement de ceux de la production technique. Elle s’obtient également en mettant en place un cadre méthodologique de type managerial, car le lean startup est du management.

Just do it attitude vs. management

Créer une startup est donc un exercice de mise en place d’un cadre institutionnel. Il implique nécessairement du management. Or les entrepreneurs ont traditionnellement une aversion au management. Ils le considèrent généralement comme un frein à la créativité dont ils doivent faire preuve.

De nombreux entrepreneurs adoptent une attitude d’action permanente, une “just do it” attitude. Ils se privent ainsi de l’expérience que deux siècles d’histoire du management peuvent offrir.

Dans l’époque actuelle que l’auteur qualifie de renaissance entrepreneuriale, l’entreprenariat requiert une discipline managériale. Le manque de rigueur managériale dans l’entreprenariat est d’ailleurs la cause de nombreux échecs : des produits retirés des étals quelques semaines après leur lancement, des startups de haut niveau encensées par la presse puis vite oubliées ou un nouveau produit dans l’air du temps et qui ne trouve aucun utilisateur.

La méthode Lean Startup prend son nom du lean manufacturing inventé par Taiichi Ohno et Shigeo Shingo chez Toyota. Elle vise à éliminer les gâchis que les entrepreneurs réalisent. Il vise à aider ce dernier à savoir quand formaliser ses processus, son planning, quand mettre en place ses infrastructures ; et s’il faut le faire seul ou en partenariat.

Par exemple, il conviendra de privilégier des équipes rassemblant des compétences diverses plutôt que de mettre en œuvre une organisation avec un strict découpage fonctionnel (marketing, ventes, IT, etc.). Un tel découpage ne responsabilise les personnes qui sur leur domaine d’activité et réduit considérablement l’efficacité des boucles de feedback.

Conduite quotidienne vs. lancement de fusée

Eric Ries prend l’exemple de l’automobile où existent deux boucles de feedback. La première est celle à l’intérieur de l’engin. Chaque petite explosion dans le moteur fournit la force qui permet d’enclencher le mouvement des roues tout en déclenchant l’allumage qui permettra la prochaine explosion. Cette boucle est donc précise et réglée.

Pour l’auteur, les startups disposent du même genre de boucle qu’il nomme moteur de croissance. Chaque nouvelle version du produit est comparable à l’explosion dans un moteur. Elle enclenche le mouvement, la mise à disposition d’un premier produit. Elle permet également la réception d’informations qui seront déterminantes pour les prochaines versions.

La deuxième boucle de feedback comparable à celle d’une startup se situe entre le conducteur d’une voiture et le volant. Le feedback est immédiat et automatique. Nous n’y pensons pas, c’est un pilotage instinctif qui ici va jouer.

Ces schémas de feedbacks sont différents des opérations réglées nécessaires au lancement d’une fusée. Pourtant, pour le lancement d’une fusée, la gestion des feedbacks est limitée.

 

Eric Ries – La boucle de feedback

Business plan vs. boucle de feedback

Ainsi, la boucle de feedback est indispensable aux startups. Pourtant ces dernières continuent de s’appuyer sur des business plans. Elles sont ainsi plus souvent préparées pour des lancements de type fusée que pour la conduite au quotidien. Le business plan n’est donc pas l’outil de pilotage quotidien qui améliorera le produit et la startup à partir d’apprentissages.

La méthode lean Startup vise donc à mettre en place cette boucle de feedback. Elle permettra au créateur d’entreprise d’ajuster constamment son travail et celui de ses équipes en s’appuyant sur une démarche de réalisation / mesure / apprentissage (Build-Measure-Learn).

Illustration : Feedbag – Credits : Karl Horton

Blockchain – The Internet of Money

By Lotfi BENYELLES

Andy Antonopoulos (1974) est un ingénieur gréco-britannique qui a beaucoup contribué ces dernières années à diffuser les connaissances relatives au fonctionnement de la blockchain. Son dernier ouvrage « The internet of Money » est la transcriptions de présentations et de Ted talks donnés par l’auteur depuis 2014. Il y donne un aperçu du fonctionnement de la blockchain et du bitcoin. Il présente aussi les perspectives de ce nouveau système.

 

The Internet of Money

Dès le début de l’ouvrage d’Andy Antonopoulos, l’auteur souligne que pour bien comprendre l’intérêt du Bitcoin, il faut s’intéresser à son utilisation comme moyen d’échange et non comme outil de spéculation. Ce point n’est pas encore intégré par les commentateurs des quotidiens économiques.

Le bitcoin a été créée à partir d’une nouvelle technologie nouvelle, la blockchain. Cette dernière donne la possibilité de revenir à ce qu’est réellement la monnaie, une abstraction. La blockchain permet donc une nouvelle abstraction de la valeur dans l’histoire de la monnaie. Après les coquillages, le métal, la lettre de crédit, la monnaie fiduciaire dans sa version papier et digitale. Ce qui change avec la blockchain, c’est qu’elle repose sur une architecture décentralisée. Elle donne ainsi la possibilité de libérer financièrement ceux qui aujourd’hui sont écartés par l’institution bancaire centralisatrice. L’auteur désigne par là les personnes les plus pauvres au sein des sociétés occidentales et des citoyens des pays du tiers-monde.

QU’EST-CE QUE LA MONNAIE ?

La monnaie est un moyen de communication

La monnaie est d’abord un moyen d’expression. Sa valeur ne provient pas de sa matérialité (un papier coloré). Elle vient du fait que le billet de banque est un signe associé à l’idée de valeur. Andy Antonopulos utilise le terme langage ou de moyen de communication. En utilisant ce signe dans nos échanges, nous donnons forme à l’idée de valeur. Cette reconnaissance de la valeur n’est possible qu’à deux conditions :

  • D’abord parce que cette monnaie a une production contrôlée,
  • Ensuite parce qu’elle fait l’objet d’un usage (l’échange).

Michel Foucault dans « Les mots et les Choses » avait pointé le moment de cette prise de conscience de la nature linguistique de la monnaie par la pensée économique du XVIIème. En faisant de l’échange monétaire le fondement de la théorie de la monnaie et de la valeur, il devenait possible pour les économistes de penser la monnaie (l’or à l’époque) comme un signe et de la dissocier de l’abstraction qu’elle représentait : la valeur. Cette prise de conscience est installée dans la pensée économique. Mais cette abstraction de la monnaie n’est pas envisagée de façon consciente au quotidien. C’est parce que la monnaie est aussi un instrument de production d’un pouvoir politique verticalisé.

 

La monnaie est un instrument de contrôle social et de production du pouvoir politique

La monnaie est un artéfact de l’état-nation. Nous n’avons pas moyen de l’interroger. Nous baignons dedans dès notre naissance. Elle est fortement associée aux attributs de l’identité collective. La monnaie est pourtant une information. Dans une époque où la production de l’information s’est affranchie d’acteurs centraux comme les états ou la presse, la monnaie continue de dépendre du système verticalisé. L’Etat dispose du monopole de la production de monnaie). Les banques disposent du monopole de sa distribution. Au bas de l’échelle, nous avons les usagers, c’est à-dire tout le monde y compris les banques et l’Etat.

Dans la Construction de la réalité sociale, Robert Searle précise comment la l’usage de la monnaie comme réalité du monde est intégrée dans l’inconscient. Cela passe par un réseau de croyances qu’il appelle intentionnalités. Elles lui évitent ainsi de se reposer la question de la réalité des choses à chaque situation d’échange. La monnaie tient donc en tant que concrétisation de la valeur grâce à deux conditions. D’abord à la condensation entre l’objet et sa représentation (la valeur et le billet). Ensuite, grâce au fait qu’elle fonctionne en réseau avec un ensemble d’autres croyances. Parmi-elles, certaines sont nécessaires à la production du pouvoir politique. Ainsi, nous considérons qu’un état et ses institutions contribuent à produire ce que nous présupposons êtres nos « réalités ».

 

Innovation monétaire et évolution de la pensée

Foucault et Searle ont un grand avantage par rapport aux grands penseurs de la théorie économique, ils ne sont pas économistes. Il est donc intéressant de pointer que la dernière des innovations concernant la monnaie a été autorisée par un mouvement de la pensée (philosophie et anthropologie) qui a permis de poser la question du langage et des signes dans notre quotidien. Ce mouvement a permis de ramener à la conscience d’un plus grand nombre que l’information et la valeur pouvaient être des agents distincts de leur support. Ce mouvement de la pensée collective a fonctionné en dialogue avec les grandes innovations de notre époque, notamment celles qui ont permis de démultiplier les supports de l’information et maintenant, de la valeur.

LA BITCOIN ET LA BLOCKCHAIN

Tout d’abord, il convient de pointer ce que la blockchain n’est pas. La blockchain n’est pas un moyen de paiement. Elle n’est pas non plus une monnaie, ni même un système bancaire. C’est un plateforme qui permet de garantir des transactions de confiance. A partir du moment où une application permet de garantir des transactions de confiance, il est possible de créer de la monnaie. C’est ainsi qu’est né le bitcoin.

Son fonctionnement

Bitcoin n’est pas à proprement parler une monnaie mais une capacité d’achat. La valeur n’est pas détenue dans un portefeuille, elle est stockée dans la blockchain et ce que les deux parties peuvent se transmettre sont une capacité d’achat à laquelle correspond un message signé, une autorisation. Cette autorisation a deux références. La première est source de la transaction qui créé une entrée non dépensée dans la blockchain. La seconde correspond à la destination, c’est à dire la clé (ou l’adresse bitcoin) qui aura la possibilité de dépenser la valeur correspondante.

Un réseau minimaliste

Bitcoin est porté par un réseau minimaliste qui ne se soucie pas du contenu de l’information ni de la forme qu’elle prendra. Nous sommes proche du fonctionnement de l’internet avec le DNS. La technologie de résolution des noms de domaines internet ne se préoccupe pas de l’information qu’elle transmet. Ce peut-être de la voix, du texte, de la vidéo, le réseau ne s’en soucie pas. Il se contente de la transmettre l’information d’un point A à un point B. Cette architecture a permis de le développement de tous types de terminaux spécialisés : ordinateur, téléphones mobiles, box tv, caméras de surveillance connectées… Ce sont ces derniers qui évoluent avec les technologies et les usages. C’est donc ce qui explique la pérennité de l’internet depuis trente ans.

Réseaux intelligents vs. réseaux minimalistes

Nous sommes à l’opposé des réseaux intelligents chargés de traiter la donnée avant de la transmettre. C’était le cas de la téléphonie fixe. Le réseau des systèmes bancaires a été bâti dans les années 70 et 80. Il est lui aussi installé sur ce principe de réseau intelligent et de terminaux minimalistes. Ces réseaux intelligents sont incapables de proposer une innovation décentralisée. A l’inverse des réseaux minimalistes, toute évolution se fait depuis l’intérieur du système vers l’extérieur. Ils exigent dès-lors des modifications lourdes et rendent inopérants l’ensemble des terminaux en aval.

Bitcoin est donc un réseau minimaliste qui permet de pousser l’intelligence sur les bords. Il s’affranchit d’un point central et permet la créativité dans les usages.

Une transaction sûre

La transaction ne contient pas de données sensibles, la seule chose qu’elle contienne son l’adresse d’où provient la transaction, où elle va et le montant. Les nombreuses critiques dans les médias grand public sont donc discutables. Elles ne portent pas sur les qualités intrinsèques du bitcoin et de sa technologie mais essentiellement sur certains acteurs et leurs actions parfois répréhensibles légalement. Elles peuvent également porter sur sa trivialité, un message dépouillé, ce qui rendrait la monnaie sans valeur. Mais on a là, de la part de personnes dont c’est pourtant le métier une confusion entre la valeur et son support.

Avec le bitcoin, la monnaie ne peut plus être confondue avec son support. Elle nous amène à considérer celle-ci pour ses qualités intrinsèques, une idée partagée de la valeur. Le bitcoin permet ainsi de révéler la monnaie dans sa qualité première, dépouillée de tous les artifices que lui attribuent les acteurs du système vertical décrit plus haut. La valeur n’est pas produite par un état ou une banque, elle n’est pas renforcée par des taux d’intérêt, l’évolution des cours d’une devise ou des rendements. Quant au besoin de sécurité, nous nous apercevons grâce la blockchain qu’il est provoqué par l’insécurité systémique des back-offices bancaires. Nous avons a vu ces dernières années l’ensemble des points de fragilité de ces architectures. Ceci depuis la vulnérabilité au phishing jusqu’au fait qu’un trader puisse générer seul quatre milliards de pertes sur son portefeuille sans être contrôlé.

Un développement ralenti

Toutefois, nous sommes dans une étape les deux paradigmes continuent à exister. D’une part celui de la blockchain qui est un système de reconnaissance et d’échange de la valeur décentralisé. D’autre part, celui d’une monnaie attribut d’un pouvoir central et dont la valeur est associée ceux qui en produisent l’artefact. Nous devons comprendre le fonctionnement du premier à partir d’un système de reconnaissance de la valeur bâti sur les mots du second. Cela ralentit donc développement de la blockchain.

Les perspectives du bitcoin et de la blockchain

Le bitcoin aujourd’hui

Le bitcoin est encore limité aujourd’hui par des infrastructures qui ne sont pas adaptées à son développement. La création de nouveaux serveurs dédiés au mining se développe mais elles sont encore insuffisantes à ce jour. Ces limitations font que le délai constaté lors des transactions peut parfois s’avérer long. Par ailleurs, le système aussi est structurellement dépendant d’habitudes de circulation de la valeur entièrement dominées par le système bancaire. Les monnaies électroniques comme le bitcoin pourront donc être exploitées à leur plein potentiel lorsqu’elles s’affranchiront de la norme monétaire en vigueur dans les systèmes d’échange actuels.

L’auteur prend comme exemple le rôle de la route dans le développement de l’automobile ou celui le réseau électrique. Dans ce dernier cas, l’ensemble d’usages qui se sont développés avec le renforcement du réseau sont allés bien au delà de la seule ampoule qui en fut à l’origine.

Les utilisations potentielles

Nous aurons peut-être à l’avenir des systèmes d’échange plus adaptés aux transactions sur certains types de biens, les biens immobiliers par exemple. L’auteur propose de considérer la monnaie comme une application. Le contenu de l’application c’est la valeur ou l’information, la monnaie ne sert qu’à l’exécution de la transaction.

Des milliers de monnaies pourront être créées, elles exprimeront le besoin de s’organiser en communautés localisée ou distantes et disposeront de leurs propres systèmes d’échanges, de solidarités, etc.

Index monétaire

En cas de multiplication des monnaies basées sur des reconnaissances de valeur différentes et des capacités d’achat spécifiques à des communautés. Comment pourront nous avoir une vision d’ensemble de ce que nous possédons ? L’auteur envisage la mise en place d’indexes mesurables qui permettront d’informer de la valeur de l’ensemble de notre portefeuilles. Les fonctionnements des bourses est d’ailleurs comparable. Nous disposerons d’indexes qui nous permettront d’avoir une vision de la valeur d’ensemble d’un portefeuille exprimé dans une « métamonnaie » informative. Cela même si les monnaies qui le composent ne seront pas échangeables et que la méta-monnaie n’aura pas de valeur marchande en tant que telle.

Andy Antonopoulos prévoit que les banques elles mêmes feront évoluer leur technologies dans le sens de la blockchain. Mais cette adoption se fera en tentant de fermer un système ouvert, donc sans modifier les règles actuellement en vigueur dans la banque.

La bockchain comme facteur de souveraineté

Pour l’auteur, la blockchain est pensée pour être ouverte et restaurer la souveraineté des usagers. Cela de la même façon qu’Internet a libéré l’information du monopole de la presse. La diversité des sources d’information sur le web le démontre. En facilitant la diffusion de l’information, Internet a permis aux acteurs de se concentrer sur sa production.

La blockchain comme facteur d’inclusion

De la même façon, chacun de nous pourrait devenir banquier en utilisant son seul téléphone. C’est notamment l’exemple que donne Andy Antonopoulos. La blockchain permettra ainsi à un agriculteur du Kenya de trouver seul des moyens de financement. Cela sans passer par des intermédiaires ou des banques.

L’auteur pense également que la question de la propriété individuelle peut-être remise définitivement en cause par la blockchain. La blockchain et l’internet favoriseraient la constitution de communautés qui récuseraient les prescriptions des systèmes centraux (dont la propriété). Cela favoriserait ainsi les usage collectif. Une communauté malienne de Montreuil pourrait se constituer pour contribuer à l’équipement collectif du village dont tous sont originaires.

CRITIQUE

Un livre qui clarifie le rôle de la monnaie et présente les perspectives de la blockchain et du bitcoin

Le livre qui a le mérite d’attaquer le fonctionnement verticalisé de l’industrie monétaire. Il laisse entrevoir une dépossession du pouvoir de création de monnaie par l’Etat et les banques grâce aux systèmes distribués. Tout comme internet a remis en cause les monopoles sur l’information et la communication.

Le bitcoin pourra aider à établir des principes libres et égalitaires dans l’établissement de la valeur. Il va donc probablement changer le mode de perception et de fonctionnement de la monnaie.

L’usage ne garantit pas la vertu

Le médium ne peut malheureusement pas donner de la vertu aux intentions de celui qui souhaite l’utiliser. Rien ne dit que l’abondance soit une garantie de qualité. D’un côté nous avons l’exemple romantique de Twitter pendant les révolutions arabes. De l’autre, nous ne pouvons ignorer le trolling permanent des courants réactionnaires lors des élections. Pas plus que les entreprises de manipulation menées par des courants fanatiques.

Une souveraineté discutable

De plus, l’idée d’une souveraineté financière individuelle est discutable. Les nouveaux médias de l’internet n’ont pas produit que de la souveraineté.

Le contenu informatif dominant dans l’internet reste celui de la société citadine riche. Les sociétés des exclus, dont parle Andy Antonopoulos peinent toujours aujourd’hui à produire leur information. Vingt ans après la généralisation de l’internet, la plupart des communautés du monde se lisent à travers les mots des autres.

Blockchain, un facteur d’inclusion économique, mais…

La blockchain sera un facteur d’inclusion économique. Mais elle ne règlera pas à elle seule la grande question sociale de l’exclusion. Comme l’internet, elle peut-être le relai des exclusions constitutives de nos sociétés. Elle contribuerait au contraire à isoler encore plus des groupes aujourd’hui aux marges. Comme nous l’avons vu au début de l’article, la production de la valeur est un fait culturel et non pas technique.

On peut donc douter qu’en élargissant le champ du principe anthropologique d’établissement de la valeur, on finisse par dissoudre la question de la gouvernance collective dans une somme de gouvernementalités individuelles équivalentes. C’est la limite du raisonnement d’Andy Antonopoulos : la confusion des principes de liberté et d’égalité.

Confusion des principes d’égalité et de liberté

Que la capacité à créer des standards de valeur soit donnée à chaque individu n’est pas en soi une garantie d’égalité. Dans le développement de l’internet, nous avons ainsi vu apparaître de nouveaux acteurs dans la production de l’information. Certaines petites communautés se sont renforcées et ont gagné en autonomie. Mais ces petites communautés n’ont pas remis en cause l’Etat et les grands acteurs de la production de l’information. Notamment dans la production du discours politique. Les anciens schémas restent en vigueur. Dans certains cas la petite communauté contestatrice grossit. Elle se voit dès lors proposer l’intégration dans le modèle verticalisé de pouvoir. C’est ce que nous voyons avec la tentation du pacte avec des mouvements hier aux marges. C’est le cas avec l’extrême-droite en Europe. Ou encore avec l’intégration des islamistes au sud de la Méditerranée.

Dans les autres cas, la décentralisation est défendue fermement. Mais la défense du pouvoir verticalisé ramène la communauté contestatrice à l’infantilisation. C’est le sort auquel sont réduites les communautés participatives (Nuit debout). Internet a permis de multiplier leurs moyens de rassemblement et d’échange. Mais il n’ pas ébranlé le principe de la verticalité du pouvoir et son contrôle sur la production de l’information. Le pouvoir verticalisé comme mode de gouvernance s’est adapté. Il a développé un système de contrôle à postériori. D’autres fois, il s’approprie le débat pour mieux le taire en excluant ceux qui l’avaient initiés. La question des monopoles de la production des systèmes verticalisés que dénonce A. Antonopoulos n’est plus à l’ordre du jour depuis longtemps. Un système bien plus efficace l’a remplacé. C’est aussi déjà le cas pour la monnaie qui enferment les individus dans des verticalités (systèmes de fidélité, de bons d’achat, de points, etc.).

Un espace mais aussi un outil

Nous voyons donc qu’Internet et la blockchain peuvent produire des espaces de regroupement. Mais ces espaces sont déterminés anthropologiquement. Ce sont donc aussi des outils manipulables par les hommes. Surtout ceux qui possèdent le savoir-faire nécessaire. Les affaires récentes démontrent bien que le combat contre le contrôle et la la censure est une nécessité (Snowden, Wikileaks, Nuit debout, etc.). Mais la lutte contre la production horizontale du pouvoir ne se mènent pas dans l’espace des réseaux mais en dehors.

 

Photo : Shells – Credit : Squid Ink – Licence Creative Commons

Technologie vs. usages

By Lotfi BENYELLES

Le 12 avril dernier, la ville de Paris attribuait le marché des Vélos Libre Service (VLS) à une PME Montpelliéraine de 38 salariés. A partir de 2018, SMOOVE, remplacera JCDECAUX pour quinze ans. Comment le leader mondial de l’affichage publicitaire a perdu un marché qu’il avait contribué à créer avec sa technologie Cyclocity ?

Plusieurs facteurs ont joué et l’idée n’est pas de tous les recenser ici. Le but de cet article est de voir comment lorsque un produit atteint sa maturité, la recherche technologique va devoir privilégier une baisse des coûts et l’amélioration de la qualité du service du plutôt que l’amélioration de sa performance technique à l’utilisation.

Naissance du Vélo Libre Service

En 2009, la ville de Paris lançait le Velib’, un système de vélo en libre service (VLS) exploité par JCDECAUX. L’entreprise avait déployé à cette occasion le système de sa filiale Cyclocity breveté en 2001. Ce dernier avait déjà été mis en place à Vienne, Gijon, Cordoue et Lyon en 2005. A Paris, le marchés passé avec les autorités était associé à l’affichage publicitaire et du mobilier urbain. Velib’ a vite trouvé son public mais le service a coûté bien plus cher que prévu. Ceci du fait d’actes de vandalisme et d’une extension du réseau en banlieue non anticipée en 2007.

Consolidation du marché du VLS

D’autres concurrents ont développé leur offre ces dernières années tel Clear Channel (Smartbike), Effia (Vélossimo) et Smoove.

Smoove est née en 2008 à Montpellier. Ses fondateurs avaient contribué dès 2007 à la mise en place du système de vélo libre service de la ville. Conçu dès le départ comme une alternative aux Vélib, il dispose d’un mobilier de station moins coûteux et plus simple à réaménager. Ainsi, la location du vélo se fait directement depuis un clavier intégré au guidon. Le vélo est plus léger qu’un Velib et s’attache par l’avant. Le système permet de bloquer la roue et le cadre et rend le vol du vélo plus difficile. En dix ans, le système Smoove s’est constamment perfectionné. L’entreprise a mis en service des vélos électriques en mai 2017 à Helsinki. Plusieurs villes où le système a été déployé ont témoigné d’un coût d’exploitation maîtrisé.

Smoove a donc très tôt compris que l’enjeu du vélo libre service. Les villes souhaitaient surtout un système moins coûteux[1] à déployer et à sécuriser. Ce point qui est devenu la principale caractéristique de son offre.

Au même moment JCDECAUX remportait d’autres contrats à l’étranger grâce à sa vitrine parisienne. Néanmoins, l’entreprise restait sourde aux plaintes de la municipalité. Pour ses représentants, les problèmes de coûts et de sécurité étaient spécifiques à la ville de Paris et inconnus ailleurs. Ces derniers appliquaient une vieille règle : « Ce n’est pas le produit le problème, c’est le client ».

L’appel d’offre Parisien

A l’heure de renouveler le marché parisien début 2017, la ville avait produit un nouveau cahier des charges. Ce dernier était limité au vélo libre service et tenait compte de l’expérience des dix dernières années.  La proposition du futur prestataire devait donc satisfaire plusieurs points. D’abord, on lui demandait de proposer une technologie innovante. Ensuite, sa solution devait être plus sûre et empêcher les dégradations. Enfin elle devait permettre de baisser les coûts d’exploitation. Ces exigences mettaient l’ensemble des postulants au marché à égalité et imposait de remplacer tout le système existant (bornes, vélos, stations, etc.). JCDECAUX  pouvait néanmoins se considérer favorisé par la situation :

  • D’abord, la société a été très peu remise en cause sur les marchés passés avec la ville de Paris depuis plus de vingt ans.
  • D’autre part, son service était associé à l’image de la ville et on pouvait supposer que la municipalité ne souhaitait pas prendre de risques.
  • De même, le coût de prise en charge et de remplacement du réseau de station dans une métropole comme Paris pouvait être perçu comme trop élevé pour un nouvel entrant.
  • Enfin, le produit était simple à faire évoluer techniquement. JCDECAUX disposait d’ailleurs d’un prototype de vélo aux fonctionnalités supérieures aux modèles de ses concurrents [2].

Coût et fiabilité du produit

Pourtant JCDECAUX a perdu ce marché en apparence imperdable. La raison principale : il ne s’agissait plus d’offrir un offre techniquement en pointe mais plutôt un service moins coûteux et plus flexible. Lorsqu’un produit a déjà trouvé son marché et ses usagers, l’acquisition technologique et l’ajout de fonctionnalités n’est donc plus le seul facteur déterminant dans la perception qu’a un client de la valeur du produit. Dans ces cas, il est supplanté par des critères plus conservateurs : le coût et la qualité perçue du service. [3].

Prenons l’exemple du marché de la téléphonie mobile. L’Autorité de régulation de la téléphonie définit les règles d’accès à ce marché, notamment le nombre d’opérateurs autorisés à y accéder. Ce marché a été rouvert en 2010 par l’ART. Un nouvel acteur (Free) est arrivé pour renforcer l’attractivité (prix) des offres de téléphonie mobile. Cette ouverture devait également permettre d’accélérer l’adoption de l’internet mobile. En proposant un forfait voix à 2€ et internet à 20 euros, Free a répondu à la demande du régulateur et à l’attente du marché.

Les trois opérateurs historiques avaient jusqu’alors envisagé leurs offres internet comme une version haut de gamme de leur offre téléphonique. En réaction aux changements apportés par Free, Bouygues, Orange et SFR alors souligné la faible qualité de l’offre technique Free. Mais le nouvel entrant s’est imposé et les offres voix/données à moins de 20€ sont aujourd’hui la norme.

La technologie au service de l’usage

Ces deux exemples nous montrent des produits technologiquement avancés peuvent masquer un contexte de rente défavorable à l’innovation. L’opérateur fait payer la nouveauté au client ou à l’usager sans réel bénéfice. Dans ces cas, un nouvel entrant peut remettre en cause la rente installée. Il mettra dès lors la technologie au service du prix, de la satisfaction client et de l’efficacité opérationnelle.

 

[1] Les trois offres présentées répondaient aux exigences techniques de la ville de Paris.

[2] Sur ce dernier point, JCDECAUX avait vu juste. L’offre de JCDECAUX ayant été jugée la plus performante techniquement

[3] Le coût de la proposition présentée par JCDECAUX à la ville de Paris était supérieure de 30% à celle de SMOOVE

 

Photo : Penang Street Art Bicycle, 24 July 2013 – Copyright DTW – Creative Commons