Les croyances qui pénalisent l’entrepreneur

By Lotfi BENYELLES

L’entrepreneur préfère créer son propre cadre plutôt que de rejoindre le cadre massif et anonymisant de la grande entreprise. Dans son parcours, il devra utiliser les présuppositions conscientes et inconscientes qui font son rapport au monde. Ce que le philosophe John R. Searle définit comme des croyances. La difficulté est que certaines de ces croyances travaillent contre sa volonté d’indépendance et nourrissent le découragement. Ces croyances devront être mises en cause afin de faire aboutir création de l’entreprise.

Au début, tout est rose

Au démarrage, l’enthousiasme a tendance à nous masquer les difficultés. Les premières tâches sont généralement réussies. Soit parce qu’elles ont été préparées depuis longtemps (un premier prototype, un premier client, recrutement, etc.). Soit parce qu’elles sont assez simples (création administrative, domiciliation, etc.). On peut donc être amenés à croire que le reste du parcours doit faire l’objet du même niveau de préparation. Or la création d’entreprise ne requiert pas la même habileté au début de la création que lors des phases ultérieures. Le moment de la création administrative de l’entreprise relève de l’habileté opératoire. C’est à dire que le créateur d’entreprise doit savoir planifier et anticiper à partir de travaux connus et prévisibles. Ce genre d’habileté est celle requise dans l’entreprise managériale. A ce titre, le moment de la création peut être vu comme la conclusion d’une expérience précédente d’emploi salarié.

Toutefois, les travaux planifiables à la création ne constituent pas le cadre dans lequel l’entrepreneur va travailler par la suite. Il va en effet devoir faire aboutir son prototype en un premier produit commercialisable, trouver d’autres clients, affronter des difficultés relationnelles, etc. Il devra en conséquence réajuster en permanence. L’habileté opératoire est moins utile qu’une habileté créative qui permet de revoir en permanence ses hypothèses de travail et à agir en conséquence.

Comment faire dès-lors pour que l’entrepreneur atteigne cette habileté créative qui lui permettra d’aboutir à une entreprise capable de fonctionner opérationnellement sans lui ? Il lui faut au préalable remettre en cause certaines croyances.

A propos des croyances

Par croyance, j’entends ce que le philosophe John R. Searle, définit comme un ensemble perceptions et de présuppositions que nous utilisons pour donner un sens à nos actions. Les croyances sont en générales inconscientes. Mais elles peuvent être ramenées à la conscience si nécessaire. Elles fonctionnent en réseau dans le cadre d’un arrière-plan (background). C’est à dire qu’elles sont liées entre elles par des liens de causalité. L’exemple le plus répandu de croyance est celui de la valeur attribué à la monnaie. Si nous croyons tous que la monnaie a une valeur, cela lui permet d’avoir une fonction d’échange dans l’ordre social. En même temps, cette croyance est liée à une autre, celle qu’un état me gouverne et qu’il a l’autorité pour émettre ou retirer de la monnaie de la circulation. Cette dernière croyance se rattache également l’idée que je choisi mon gouvernement lors d’élections. Par conséquent, ma croyance m’amène à penser que j’agis dans l’ordre social que je participe à déterminer le fonctionnement de la politique, y compris monétaire.

Nous avons donc là un réseau complet de présuppositions conditionné par la causalité et par l’idée qu’une réalité se trouve derrière ces présuppositions. Les croyances sont nécessaires à l’intégration des individus dans l’ordre social. Mais certaines d’entre elles posent problème dans le contexte de la création d’entreprise. Elles doivent dès lors être ramenées à la conscience afin de les questionner et réajuster nos comportements. Quelles sont ces croyances ?

  • Le découragement amène à l’abandon

L’entrepreneur hérite de l’idée que le découragement limite ses capacités à agir et qu’il est dangereux pour son projet. Le découragement est une réaction émotive diffuse qui trouve rarement sa source dans une seule cause. Il convient donc de savoir à quoi nous réagissons lorsque nous nous décourageons. Il y a d’abord les motifs de découragement externes. Ils sont les plus simples à identifier et peuvent être négociés en communiquant avec les personnes qui les occasionnent. Il y a ensuite les motifs internes, ce sont les croyances mentionnées dans cet article. Ils sont plus complexes à identifier dans la mesure ou nous ne nous apercevons pas consciemment qu’ils contribuent à affaiblir nos actions. Tant que les motifs de découragement ne se traduisent pas par des situations définitives (faillite, impayés, condamnation, etc.), le découragement peut être bénéfique. Il sera l’occasion de se ménager et de prendre le temps d’y voir plus clair. Il nous amènera à réinterroger nos croyances et à agir sur facteurs internes et externes qui affaiblissent nos actions.

  • Une réalisation réussie résiste à toute critique

L’entrepreneur voudra que son produit soit fonctionnel et utile dès sa première livraison. Sa communication ne devra souffrir d’aucune hésitation. Son entreprise devra trouver sa clientèle dès les premières commercialisations. Cette croyance génère des déceptions. Au delà du fait qu’un produit n’est jamais abouti, l’entrepreneur risque surtout l’impasse sur de phases qui pourraient être riches en enseignements. L’exemple le plus répandu est celui du développement produit. Il est plus intéressant de développer un produit minimal afin de le confronter à des avis de clients et d’usagers avant d’entamer un développement produit complet. De même, la constitution d’une communauté passe par une phase ingrate d’élaboration de contenus, d’échanges, de débats qui nourrissent des réflexions et donnent corps plus tardivement au groupe.

  • Un parcours personnel réussi est une belle histoire à raconter

Nous aimons écouter des histoires et l’expérience entrepreneuriale est l’occasion pour l’entrepreneur de raconter la sienne. Mais ce récit peut devenir décourageant s’il s’éloigne trop de ce que nous imaginions être une bonne histoire d’entreprenariat à raconter. C’est à dire cohérente et sans interruption. La tâche est donc difficile pour l’entrepreneur car l’expérience entrepreneuriale n’a rien de linéaire.

  • Nous devons éviter le jugement et la condamnation des autres

En se lançant, l’entrepreneur créé une entreprise, développe un produit, se met à communiquer, etc. En bref, il se confronte aux autres et se met en situation d’être jugé. Les jugements peuvent-être négatifs. Or ces jugements, surtout s’ils sont négatifs ont une grande valeur. Ce sont eux qui permettront les réajustements qui dont la petite entreprise a besoin.

  • Nos métiers nous garantissent une reconnaissance sociale

L’entrepreneur a un statut qui ne coïncide avec ceux des autres métiers socialement reconnus (médecin, avocat, etc.). Son expérience est généralement perçue comme plus précaire. Cette précarité est renforcée par l’absence de chemin balisé. Il n’y a pas de formation pour devenir entrepreneur. Tout le monde peut le devenir. Auprès de l’état, le statut individuel l’entrepreneur, n’existe pas, il est renvoyé à celui générique d’indépendant.

La présence de deux personnalités juridiques dans le parcours entrepreneurial (celle de l’entreprise et celle de l’entrepreneur) renforce également cette dévalorisation. On parlera des belles réalisations d’un architecte alors qu’un entrepreneur sera rarement personnifié si son entreprise réussit.

Nous pouvons postuler que ceux qui nous observent de loin s’imagine qu’il y a un effet prime au risque. Pour eux, l’entrepreneur accepte de jouer gros : son statut social et son confort financier à court terme. S’il réussit, il gagnera la liberté et le bénéfices qu’offre le fait de disposer de sa propre entreprise, son propre produit, sa propre histoire à raconter. S’il perd, il aura été responsable de son choix.

Ces croyances fonctionnent donc bien en réseau serré. Elles sont celles d’un tissu social qui laisse une marge réduite à la créativité, tout en acceptant que cette créativité puisse être bénéfique à l’ensemble. Ce sont donc des acteurs marginaux la prendront en charge (entrepreneurs et artistes). Ils devront renégocier seuls leur croyances grâce à l’expérimentation.

De nouvelles croyances pour l’entrepreneur

L’identification et la remise en cause de ces croyances est donc difficile. Ce processus est lent. Il faut plusieurs expériences, étalées sur des années, pour que l’entrepreneur s’aperçoive que :

  • Les phases de découragement sont bénéfiques

Elles signalent les moments où nous ne sommes pas armés pour traiter certains aspects non anticipés du projet (que le temps de la création d’entreprise est long, que les difficultés rencontrées étaient nombreuses, que le cadre des échanges humains était fait de tensions et d’inconforts, etc.). Le découragement est un signal qui permet de repenser son projet et d’agir sur ses propres limites afin de réajuster.

  • Le processus compte plus que les réalisations

Leur richesse et leur variété nourrissent le cadre mental dans lequel nous pensons nos actions. Elles comptent bien plus qu’un résultat spécifique et momentané.

  • Un parcours entrepreneurial est bien une belle histoire à raconter, mais il n’est pas linéaire

Le récit de son expérience d’entrepreneur n’est pas linéaire, il est fait d’erreurs, de fausses routes et de corrections. Ces moments doivent entrer dans un récit fait d’ellipses et qui assume les ruptures.

  • En s’exposant à l’autre nous nous ouvrons à de nouvelles situations riches en enseignements

Ici, il s’agira de considérer que fait d’être jugé n’est plus un risque mais une nécessité. Il ne s’agit donc plus de considérer que nous sommes en quête de d’approbation.

Le jugement des autres est souhaitable car il nous permet de nous réajuster. L’entrepreneur doit :

  • S’exposer à ses clients avec des produits qui ne fonctionnent pas encore.
  • Ajuster régulièrement sa communication vis-à-vis de ses usagers,
  • Accepter de se mettre en situation d’inconfort.

Cela veut dire que nous acceptons donc que le conflit et l’inconfort fasse partie de notre trajectoire. En réalité, personne ne sanctionnera l’entrepreneur pour les situations vécues ou les actions commises. Personne ne le récompensera non plus.

  • L’entrepreneur ne doit pas chercher la reconnaissance sociale

 

Photo : One and three chairs by Joseph Kosuth, 1965 – Credit : Kenneth Lu – Licence Creative Commons

 

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