Entrepreneur et découragement

By Lotfi BENYELLES

En apparence, nous sommes inégaux face au découragement. Certains entrepreneurs sont dotés d’un enthousiasme qui les accompagne longtemps et les empêche de douter malgré les difficultés. D’autres vont rapidement trouver la bonne formule et posent les bonnes bases au démarrage. Pourtant, ces deux exemples sont des exceptions.

L’idée de cet article est de détailler comment ces croyances se construisent dans les expériences de nos vies d’enfant et d’adulte. Ces croyances sont nécessaires à notre insertion dans la société et ses différentes composantes. Néanmoins, elles vont jouer contre nous au moment où nous déciderons de créer une entreprise.

1. Le découragement : des résultats éloignés de ce que nous attendions

La majorité des entrepreneurs est confrontée au découragement. C’est-à-dire, à ces moments où les actions que nous menons et les résultats qui se dessinent nous paraissent très éloignés de ce que nous espérions. Des moments, on a le sentiment de ne plus avoir prise sur ce que l’on a créé. Le chemin parcouru et les résultats obtenus peuvent alors perdre toute valeur à nos yeux.

Rappelons-nous les conseils d’Edison. Une chute ? Facile, il suffit de se relever, encore et encore. Pourtant, le découragement ne vient pas des difficultés rencontrées lors de l’élaboration d’un produit ou dans la vie de notre petite entreprise. Il ne suffit donc pas de dire « je me relève et tout va aller mieux ». Le découragement vient en réalité de certains jugements profondément ancrés en nous et qui nous pénalisent au moment où nous sommes confrontés aux expériences désordonnées d’un parcours d’entrepreneur.

Le sens de l’adaptation

Certains futurs parents annoncent qu’ils élèveront leur enfant en le sensibilisant aux complexités du monde. Ils entendent par là qu’ils élèveront un enfant capable de s’ouvrir à ce qui est différent. Il saura de fonctionner dans la norme et hors de celle-ci. A chaque fois que ce sera nécessaire, il bloquera son jugement pour se donner la possibilité d’agir y compris dans des circonstances inattendues.

Ces parents sont donc conscients des difficultés d’une éducation basée sur la seule adaptation à la norme. Elle ne prépare pas à affronter l’inconnu. Mais leur aspiration de personnes impliquées et sensibles doit donc systématiquement négocier avec une préoccupation essentielle, celle de s’assurer que leur enfant ne sera pas marginalisé parce qu’inadapté au corps social. Ils lui apprendront dès le départ une série d’oppositions simples pour l’aider à trouver sa place dans le cadre familial et social : « C’est bien » ou « ce n’est pas bien », « d’accord » ou « pas d’accord « .

La crainte de l’exclusion

Ces dichotomies faciles sont au fondement de l’éducation. La trajectoire sociale de l’enfant les renforcera. L’école impose par la suite le contrôle périodique et son corolaire, l’angoisse de l’échec imminent. Avec des contrôles hebdomadaires, des bulletins trimestriels et un passage ou un redoublement annuel nous intégrons très tôt que nos actions doivent suivre des normes et qu’elles feront quoiqu’il arrive l’objet de jugements simples : réussi ou raté, dedans ou dehors. Des repères sont posés à ce moment là pour nous donner les clés de ce qui devra faire nous éviter l’exclusion :

  • Faire un bon travail
  • Suivre un parcours scolaire linéaire et sans incidents
  • Satisfaire l’enseignant qui nous récompensera
  • Être sage et renvoyer l’image d’un bon élève.

Se préserver des dangers et des menaces

A cette trajectoire progressive de l’enfance, s’ajoute le fait que la société est composée de groupes concurrents et de hiérarchisés. Pour un individu, les passages négociés (et ritualisés) de l’un vers l’autre présentent des avantages mais aussi des risques. Nous complétons plus tard cette perception du risque. Nous risquons également l’exclusion :

  • lorsque nous devons négocier un passage, vers l’âge adulte, les études supérieures, la vie professionnelle.
  • si d’autres viennent nous mettre en danger pour prendre notre place.

L’entreprise taylorienne (ou managériale) dans lequel la plupart démarrent leur vie active conforte donc les repères mentaux que nous avons construit à l’enfance en enrichissant les situations de risque / récompense. D’autres ensembles sociaux fonctionnent aussi de la sorte : l’armée, la prison, etc.

Pour conjurer cette peur, les repères installés par l’écolier continuent de fonctionner. Ils s’imposent à nous comme des règles de fonctionnement du monde. Nous les suivons sans questionnement. Elles sont les balises qui nous permettent de préserver notre place et d’échapper aux menaces.

2. Ces croyances qui nourrissent le découragement

Quelles sont donc ces croyances ? Je les aborderai sommairement ici bas avant de revenir sur chacune d’elles et de détailler comment elle nous handicapent dans la création d’entreprise.

A. le découragement, ce n’est pas bien

La première de ces croyances, c’est bien entendu que le découragement ce n’est pas bien. Les conseils de lutte contre le découragement partent généralement du fait qu’il s’agit d’une chose négative. C’est bien entendu faux. Le découragement est une nécessité émotionnelle. Nous réagissions à une difficulté à agir et nous nous donnons par la même occasion une possibilité de réaction.

En identifiant cet état et en l’acceptant, nous nous préparons donc à agir sur ses causes et à le surmonter.

 

B. des réalisations qui résistent a la critique

Même passés à l’âge adulte, nous sommes encore habités par l’idée de produire une copie parfaite, un résultat qui résiste à toute critique. Nous retrouvons à produire des comportements qui nous ralentissent et renforcent nos doutes. Un mail que l’on relira des dizaines de fois y compris après son envoi ou un compte-rendu écrit par un tiers et que l’on réécrira entièrement en pensant le rendre exhaustif ou de meilleur qualité. Une proposition commerciale dont on pèsera chaque mot.

Nous verrons à quel point ce sentiment est particulièrement aliénant. Il nous pénalise à chaque étape de la création de notre produit et de notre entreprise.

C. une belle histoire a raconter

C’est l’idée que nos actions suivent toutes une cohérence linéaire. Chacune d’elles est censée avoir une cause et des conséquences. La belle histoire est fondée sur le principe de continuité. Tous les aspects de l’expérience sont reliés de manière cohérente et peuvent-être préconçus. Ils ne présenteront pas de difficulté si l’on suit un fil, un chemin.

Cette croyance pose problème dans le cas de l’entrepreneur. Car son expérience est l’une des moins prévisibles qui soit. S’il s’est raconté une histoire avant de commencer, il risque d’en perdre le fil rapidement. Et d’abandonner, comme nous abandonnons la lecture d’un livre qui nous apparaît trop confus.

La belle histoire, c’est aussi celle que l’on trouve dans les ouvrages sur l’entrepreneuriat et les grands entrepreneurs. Nous avons vu dans l’article sur Edison à quel point ces ouvrages pouvaient devenir décourageants.

Bien entendu, il est nécessaire de se raconter une histoire et de la communiquer aux autres. Mais cette histoire nous décourage si elle s’éloigne trop de la réalité que nous vivons. Il est donc nécessaire de chercher le récit positif qui reste au plus près de nos expériences, même si elles sont heurtées.

D. Le juge et la sanction

A partir du moment où nous nous sommes fixés l’objectif de faire aboutir notre entreprise, nous nous croyons jugés et attendus:

  • D’abord à nos proches à qui nous voulons prouver qu’ils pourront être fiers de nous.
  • Puis aux anciens collègues à qui l’on veut montrer que l’on a fait le bon choix en les quittant.
  • A nos partenaires à qui l’on veut montrer que notre projet est particulier et que nous ne sommes pas juste un partenaire parmi d’autres.
  • Et enfin, à nos adversaires qui ont eu tort de nous affronter et à qui nous démontrerons que nous seront quoiqu’il arrive les vainqueurs.

Le juge, c’est l’autre que nous ne parvenons pas à ignorer. L’autre ne peut pas être la raison de notre histoire. Pourtant, il prend souvent une part disproportionnée dans les motifs de création d’entreprise. C’est particulièrement vrai quand la création s’est basée sur de mauvaises raisons. Aujourd’hui nombreux sont ceux qui quittent leur employeur avec un sentiment d’inaccompli. Créer leur entreprise devient le moyen de corriger l’expérience précédente.

Or, en voulant prouver que ça va marcher, l’entrepreneur se cherche ses propres juges. Cette croyance n’a pourtant aucun bénéfice. Elle lui sape le moral dès que certaines de ses actions imparfaites seront exposées.

E. rôle et performativité

Reconnaissance sociale

L’entrepreneur est un rôle social au même titre que celui de directeur d’usine, boulanger, journaliste, l’avocat. Il est souvent assez facile d’expliquer son métier lorsque celui-ci coïncide avec un rôle social. Les emplois de l’économie industrielle ou tertiarisée ne bénéficient pas cette reconnaissance sociale. Ils reflètent en général l’étape d’un processus de production taylorisé (contrôleur qualité, préparateur de commande, responsable marketing, chargé de clientèle, etc.).

Devenir entrepreneur est donc un moment particulier. Nous allons devenir plus indépendants et jouer un rôle social plutôt valorisé.

Toutefois, les autres rôles sociaux ont des performativités réglées. On sait ce que l’on doit faire pour devenir avocat et exercer. De même pour le restaurateur ou le notaire.

Il n’y a pas de bon entrepreneur

Ce n’est pas le cas de l’entrepreneur qui créera un produit nouveau et cherchera à trouver son marché. Il peut ainsi être un startuper qui innove, un patron vedette, un créateur d’emploi … Mais il n’y a pas de façon réglée de le devenir. Le rôle social de l’entrepreneur est plus proche de celui de l’artiste qui travaille la forme et le langage pour produire son œuvre.

Comme pour l’artiste, l’entrepreneur aboutira à une création, l’entreprise et celle-ci se distinguera de sa force de travail. Elle fonctionnera sans son implication opérationnelle. C’est ce moment qui correspond à l’aboutissement pour l’entrepreneur.

L’établissement de règles n’intervient qu’à ce moment là. Il est nécessairement le fruit d’une performativité inventive et exploratoire. Par conséquent, la croyance selon laquelle des entrepreneurs ont fait les choses dans les règles est absurde. Si l’entreprise créée finit par trouver ses règles, c’est par l’essai et ceci demande du temps et de l’erreur.

 

Illustration : Figure, Odilon Redon – 1876, Pastels, Rothschild Art Foundation

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