Expérimenter et tester les hypothèses de sa startup

By Lotfi BENYELLES

Nous avons vu dans l’article précédent comment tester ses hypothèses. Dans son livre Eric Ries donne plusieurs exemples d’entreprises qui se sont retrouvées en situation de passer de l’idée au produit en réajustant leur hypothèses de départ.

 

L’exemple de Zappos

La première chose à savoir est qu’un test d’hypothèses n’empêche pas une vision ambitieuse à long terme. Le tests peut donc se dérouler de façon artisanale et aboutir à des enseignements qui nous permettront d’être plus ambitieux par la suite. C’est le cas de Zappos qui était devenue la plus grande boutique de chaussure en ligne avant son rachat par Amazon en 2009. Au début des années 2000, son fondateur Nick Swinmurn pressentait que les clients étaient maintenant prêts à acheter des chaussures en ligne (profession de foi).

 

Expérimentation

Pour tester cette hypothèse, il se mit d’accord avec un commerçant près de chez lui pour photographier son stock. Il publia les photos des modèles sur internet sous forme d’une boutique en ligne bien conçue. Il put tester ainsi son hypothèse principale : Y-a-t’il une demande pour la vente de chaussure en ligne ? A partir du moment où il pu répondre de manière de manière positive à cette question, d’autres questions vinrent :

  • Comment gérer les retours marchandises ?
  • Quelles sont les questions que le client se pose ?
  • Quelles sont les possibilités de paiement ?
  • Quels sont les coûts ?

Le prototype permit donc au fondateur de Zappos de recueillir des données sur ses clients. Il avait accès aux véritables comportements d’achat. Les incidents et les comportements inattendus lui donnèrent l’opportunité d’en apprendre plus sur le client et d’ajuster son produit et sa chaîne de distribution.

Le cas de Zappos est révélateur du fait qu’un petit essai très local peut nourrir une vision très ambitieuse à long terme.

 

Le business plan, un outil limité

Eric Ries donne aussi l’exemple de Caroline Barlerin, directrice de l’innovation sociale chezHewlett-Packard (HP). Elle souhaitait favoriser l’implication des salariés dans les programmes de soutien au bénévolat promus par la société. HP encourageait ses salariés à passer quatre heures ou plus de leur temps de travail dans du bénévolat. Mais le programme rencontrait peu de succès. La société comptait un grand nombre de salariés (+ de 100 000) et des compétences riches et variées. Ses dirigeants pensaient donc que la société pouvait avoir un impact social potentiel significatif.

La mission de Caroline Barlerin visait à transformer la force de travail d’HP en une force sociale agissant pour la communauté. Eric Ries nous invite à éveiller nos soupçons. Nous avons ici un ensemble d’hypothèses posées alors même qu’elles n’ont pas été vérifiées.

D’abord, est-ce que les salariés avaient envie d’associer leur entreprise à leur engagement communautaire ? Pourquoi les salariés ne candidataient pas à ce genre de programme alors qu’ils existaient déjà dans l’entreprise ? Ensuite, comment agir sur les habitudes de 100 000 salariés basés dans 170 pays différents ?

Caroline Barlerin avait un business plan. Il détaillait les actions à mener, le planning, les hypothèses financières, coûts et bénéfices attendus pour l’entreprise et la collectivité. Mais en réalité, elle proposait une vision sans savoir si celle-ci pouvait « prendre » (to be able to scale).

 

Profession de foi et hypothèses tester

Catherine devait donc formuler son postulat. Eric Ries utilise le mot profession de foi. Il proposa à Catherine une des deux formulations suivantes. Elles tournent toutes deux autour de la même idée.

  • L’entreprise a ces dernières années mis l’accent sur la rentabilité à court-terme. Les salariés ne sont pas satisfaits de cette évolution. Ils ont aujourd’hui envie de réaffirmer des valeurs collectives en donnant de leur temps à leurs communautés,
  • Une deuxième hypothèse pouvait-être la suivante. Les salariés ont besoin de donner du sens à leur mission. Ils seraient plus heureux s’ils utilisaient leur force de travail pour combiner des intérêts collectifs (communauté) avec des intérêts particuliers (HP).

Une fois la profession de foi établie, Catherine devait poser ses deux plus importantes hypothèses : l’hypothèse de valeur et l’hypothèse de croissance.

 

Hypothèse de valeur et hypothèse de croissance, rappel des définitions

L’hypothèse de valeur doit permettre de tester si le produit délivre bien sa promesse de valeur au client. Il est possible de demander l’opinion du client sur ce point, mais les opinions personnelles sont difficiles à restituer objectivement. L’expérimentation est donc plus précise. Ici, cela revient à tester ce que les salariés gagnent en faisant du bénévolat. Caroline pourrait identifier un petit nombre d’employés très intéressés par le bénévolat (early adopters). Elle verrait combien d’entre eux renouvellent l’opération une fois leur première mission terminée. Le temps passé par chaque salarié est l’indicateur de la mesure de l’hypothèse de valeur.

L’hypothèse de croissance doit permettre de tester comment les clients vont découvrir ce nouveau service. Comment va-t-on passer d’un petit groupe d’early adopters à une adhésion plus large à travers HP. Le programme doit pouvoir se répandre de façon virale. Mais pour tester cette hypothèse, Caroline devra mesurer le nombre d’early adopters qui passent le mot à leur collègue.

 

L’expérimentation est un produit

L’expérimentation est donc le premier produit proposé. Si ce premier test fonctionne, l’entrepreneur pourra accélérer en élargissant sa base d’early adopters. Il recrutera de nouveaux testeurs et lancer une nouvelle boucle d’amélioration du produit. L’avantage de ce mode opératoire est qu’à son lancement industriel, le produit aura déjà des clients et fonctionnera sur des hypothèses confirmées.

Eric Ries nous propose de nous inspirer de l’exemple de Kodak Gallery. Son manager, Mark Cook, souhaitait changer les habitudes du développement produit. Ce dernier était basé sur le modèle : spécification par le marketeur et réalisation par l’ingénieur. Il tenta alors d’imposer quatre questions préalablement à tout développement produit :

  1. Est-ce que les clients identifient les problèmes que nous tentons de résoudre pour eux
  2. S’il y avait une solution à leurs problèmes, est-ce que les clients l’achèteraient ?
  3. Est-ce qu’ils nous l’achèteraient ?
  4. Est-ce qu’il est possible de produire une solution à leur problèmes.

 

Revoir ses hypothèses

Il changea de méthode de développement alors que son équipe était chargée de développer des cartes photographiques toutes faites où les photos venaient s’incruster. Le projet était devenu techniquement trop complexe et sans garantie de succès car jamais testé auprès des clients. Lui est son équipe émirent alors deux hypoyhèses :

  1. Les clients préféraient créer des albums au sujet d’un événement : naissance, mariage
  2. Plusieurs clients pouvaient partager des photos dans un même album

Le premier prototype mis en place fut décourageant. Il ne permettait pas de créer des albums et les clients se plaignirent de sa pauvreté. Mais la frustration des clients permis en réalité de valider le besoin. Il convenait maintenant de confirmer que ces besoins étaient importants et non pas secondaires. Un questionnaire permit de récolter les informations supplémentaires. Les clients souhaitaient pouvoir établir des classements des photographies. Il devenait possible de lancer le produit sur des hypothèses vérifiées.

 

La laverie du village

En Inde, les services de laverie dans les villages continue de fonctionner de façon traditionnelle. Des dhobis récupèrent les vêtements, les lavent dans les rivières puis les essorent en les frappant contre les rochers avant de les déposer à sécher. Le service dure 7 à 10 jours. Les vêtements rendus ne sont pas toujours très propres.

Akshay Mehra avait travaillé plusieurs années chez Procter & Gamble Singapour. A son retour en Inde, il rejoignit « Village Laundry Services (VLS), créé par Innosight Ventures. Il organisa un certain nombre d’expérimentations au sein de sa nouvelle entreprise pour proposer un autre service de lavage aux habitants des villes et villages de son pays.

Pour sa première expérimentation, VLS monta une machine à laver à l’arrière d’un pickup. Le service fut testé dans les rues de Bengalore. L’expérience coûta moins de 8000$. La machine à laver n’était pas utilisée in-situ. Elle était là à des fins de marketing et le linge était pris en charge et amené dans une véritable laverie avant d’être restitué à la fin de la journée.

 

Un produit qui se finalise

L’expérience dura une semaine et le personnel de VLS s’aperçut que la difficulté venait justement de cette machine sur le pickup qui n’encourageait pas les passants à confier leur linge. Le service fut installé sur une camionnette et la machine à laver remplacée par un panier. L’ensemble ressemblait maintenant à un kiosk.

L’expérience fut concluante et pu être généralisée. VLS créa donc un service économique de lavage et de séchage. Avec un raccordement à l’eau, à l’électricité et grâce à l’utilisation de lessive industrielle, il fournissait un service perçu comme étant de meilleure qualité que celui des dhobis.

 

Le lean startup au gouvernement

Le CFPB est l’office américain de protection du consommateur. Il a été crée dans le cadre de la loi Dodd Frank de 2010 qui réformait Wall Street et le droit du consommateur. Doté de 500 millions de dollars de budget et employant de nombreux experts, il fonctionne comme une startup.

C’est ainsi que l’agence émis les hypothèses suivantes avant d’établir son mode de fonctionnement. La première d’entre elles était qu’il suffirait que les américains connaissent l’existence du CFBP pour que toute personne souhaitant de l’aide ait recours à ses services. L’hypothèse pouvait paraître raisonnable, mais il convenait de valider cette hypothèse. Que se passerait-il si les personnes concernées ne se voyaient pas comme des victimes ? S’ils avaient une perception différente de leur problèmes ? S’ils sollicitaient l’agence sur des problèmes qui ne relevaient pas de son domaine d’attribution ?

L’agence mis donc en place son expérimentation en ouvrant une ligne téléphonique automatisée. Le résultats des premiers appels passés permit d’en savoir plus sur les difficultés rencontrées par les consommateurs. Cette solution à faible coût permit à l’agence de se baser sur de véritables informations usagers avant d’engager son budget en dépenses.

La méthode Lean Startup ne se limite donc pas aux startups. Elle s’applique à tous les secteurs d’activité et à tout type d’industrie. Elle permet de déporter l’effort non plus sur la conception d’un plan, mais sur l’expérimentation.

 

Photo : Tinguely – Crédits : Twinka – Licence Creative Commons

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