Le 12 août 2015, Martin Shkreli, PDG de la société Turing Pharamceuticals décide de multiplier le prix du Daraprim par 55. Ce médicament est utilisé pour lutter contre le sida, la toxoplasmose et la malaria. Le geste fait scandale. En cherchant à contenter l’intérêt à court terme de ses actionnaires, Martin Shkreli a rompu l’ancrage du prix d’un médicament qui n’avait pratiquement pas changé de prix en 55 ans.
Le dirigeant a incarné ainsi le rôle du financier prêt à jouer avec les prix en prenant en otage des gens dont la vie était menacée.
Nous verrons dans cet article les règles et les erreurs à ne pas commettre en matière de fixation d’un prix. Nous prendrons exemple sur les sociétés qui parviennent à ancrer leur prix à des niveaux avantageux et acceptables. Vous verrez quelles sont les méthodes à mettre en place, les règles à appliquer et les erreurs à ne pas commettre.
Peu de monde a pris la défense de Martin Shkreli lorsque ce dernier décida seul de faire passer le prix du Daraprim de 13,50$ à 750$ le comprimé. Turing Pharmaceuticals, a détourné à son avantage une régulation en vigueur dans la mesure elle était la seule société à avoir le droit de commercialiser ce médicament aux Etats-Unis.
Le coût de production du médicament n’avait pas augmenté (entre 0,05$ et 0,6$ le comprimé en fonction du pays de fabrication). Rien ne justifiait donc cette augmentation.
Mais le plus étonnant, c’est que cette situation n’avait d’exceptionnel.
Mark Baum est le Directeur d’Imprimis, une société spécialisée dans la production de médicaments génériques. Il souligne dans cette interview que d’autres médicaments ont des prix tout aussi disproportionnés sans que cela fasse scandale.
Si Martin Shkreli a incarné à lui seul l’image du financier écœurant prêt à jouer avec les vies des gens, c’est que le Daraprim existe depuis 1952 et que son prix avait peu évolué durant toute cette période.
Il était donc ancré dans l’esprit de la profession médicale et des patients qui l’utilisaient. En ignorant le principe de l’ancrage, Martin Shkreli a attiré l’attention du public et des médias sur lui contrairement aux autres groupes pharmaceutiques.
En effet, ces sociétés ont généralement ancré dès le départ le prix de leur médicament à des niveaux élevés s’évitant toute comparaison avec un prix bas.
Nous n’aimons pas les industriels qui tentent de jouer avec les prix au détriment de nos besoins vitaux ou de notre santé. Les enjeux dans ces secteurs font que la régulation des prix y est nécessaire.
Dans de nombreux autres secteurs, les possibilités de détermination d’un prix avantageux sont plus importantes et mieux acceptées.
Le prix nobel d’économie 2006, Daniel Kahnemann et son collègue Amos Tversy ont développé une école de pensée, les « behavioral economics ». Celle-ci tente de tenir compte des enseignements de la psychologie comportementale dans les sciences économiques.
Grâce à leurs études, ils ont pu remettre en cause l’enseignement selon lequel le prix était déterminé par un équilibre entre une offre et une demande.
Dans le livre qui synthétise leurs travaux, Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, Daniel Kahneman expose l’expérience suivante :
Des étudiants étaient invités à faire tourner une roue numérotée de 0 à 100. Cette dernière était truquée pour ne s’arrêter qu’à deux chiffres, 10 et 65.
Une fois qu’un le nombre apparaissait, on demandait aux étudiants de répondre la même question mais formulée différemment quel était le pourcentage de pays africains représentés à l’ONU ?
Voici ce qu’ils ont répondu :
Les étudiants ont donc été influencés (ancrés) par des chiffres tirés au sort. Pourtant ces chiffres n’avaient aucun rapport avec la question posée.
Pour Daniel Kahneman, une valeur initiale (l’ancre) est un point de départ pour estimer une quantité que l’on ne connaît pas. Cette valeur initiale est définie de façon purement arbitraire.
Un élève d’Amos Tverski, Dan Ariely a mené plus loin les études sur l’ancrage en évaluant leur effet sur la fixation des prix.
Dans le livre « Predictably irrational » (traduit sous le nom C’est (vraiment?) moi qui décide : Les raisons cachées de nos choix), il transpose les conclusions de l’expérience de Kahneman à la question de la fixation des prix.
Il cite l’exemple de Salvador Assael, un marchand de perles blanches nacrées qui récupéra dans les années 1940 un stock de perles de couleur noire provenant du Pacifique.
Ces perles n’avaient aucune valeur marchande. Pour fixer leur prix à un niveau élevé, Salvador Assael s’associa à un bijoutier reconnu. Ensemble, ils fixèrent un prix astronomique à ces perles et les exposèrent à côté de bijoux de très grande valeur.
Assael acheta en même temps des espaces publicitaires dans des revues de luxe pour promouvoir ses perles noires.
A partir de ce moment là, des vedettes demandèrent à avoir des bijoux montés avec des perles noires et Salvador Assael pu écouler son stock de perles à un prix très élevé.
Pour comprendre la logique qui se joue derrière le succès de Salvador Assael, Dan Ariely a mené une expérience avec deux groupes constitués d’étudiants.
Il demanda à chaque membre du premier groupe de s’installer dans une cabine équipée d’un ordinateur et d’un casque. Sur l’écran de l’ordinateur, un message apparaissait demandant à l’étudiant s’il était prêt à entendre un brut strident en échange de 10 cents (0,1$).
Les membres du deuxième groupe étaient soumis à la même expérience, mais la contrepartie proposée était de 90 cents (0,9$).
Lorsque les étudiants écoutèrent une première fois le bruit, celui-ci se révéla être très désagréable. Dan Ariely leur proposa d’écouter une seconde fois le bruit pour le prix qu’eux-mêmes fixeraient.
Le premier groupe proposa de réécouter le bruit désagréable pour un montant moyen de 33 cents. Le second groupe proposa le montant moyen de 73 cents. Le montant de la proposition initiale avait donc bien servi d’ancre.
L’expérience fût approfondie. On donna, la possibilité aux étudiants du premier groupe de faire des enchères allant jusqu’à 90 centimes. Malgré cette deuxième ancre, les candidats du deuxième groupe restèrent raisonnables et firent des propositions très proches de la première ancre.
Avec cette deuxième expérience Dan Ariely démontre qu’il est difficile de changer d’ancre et de prix, même si le sujet a conscience que celle-ci a été établie de façon arbitraire.
Pour amener les sujets à changer d’ancre et donc d’échelle de prix, il faut obtenir préalablement une prescription sociale. Un groupe de personne ayant une autorité va avoir un comportement prescripteur favorisera le changement d’ancre dans l’esprit du sujet. C’est ce que Dan Ariely a nommé le self-heirding.
C’est ce qui se passe lorsqu’une entreprise lance des produits haut de gamme. Pour installer le prix d’une recharge de café à 30 centimes d’euros alors que celles de ses concurrents coûtent 10 centimes en moyenne (ex : Senseo de Philips), Nespresso nous explique que George Clooney ne peut pas se passer de Nespresso.
Dan Ariely donne pour sa part l’exemple de Starbucks qui propose des cafés deux fois plus chers que ceux de Dunkin Donuts.
Si un client habituel de Dunkin Donuts passe devant un café de Starbucks, il sera peut-être sensible à l’ambiance, au public de son âge et à la queue dense à l’intérieur du Starbucks. Ces points signifieront que des gens comme lui préfèrent Starbucks.
S’il franchit la porte du Starbucks et y commande son premier café, la nouvelle ancre remplacera la précédente. Mais cela ne peut se produire que si cette nouvelle ancre est partagée par plusieurs autres personnes qui ont une influence sur lui.
Pour ancrer nos prix, il faut auparavant positionner notre produit. Sans cette étape, il ne peut pas y avoir d’ancrage.
Comme l’expliquent Al Ries et Jack Trout, dans le livre « Positionning, the Battle for your mind », le positionnement est la façon dont notre produit va attirer l’attention du prospect et se positionner parmi ses références culturelles. Aucune entreprise ne peut s’abstenir d’une stratégie de positionnement.
Pour que notre prix puisse s’ancrer, il faut donc qu’il ait trouvé une place dans l’esprit du prospect et qu’il puisse être comparé à d’autres produits ou d’autres façons d’obtenir le service qu’il attend.
En 2016, la startup Juicero a créé lancé machine à faire des jus de fruits connectée et alimentée par des recharges de fruits en sachet.
Le prix initial fixé pour la machine était de 700$ à son lancement. Les ventes ne décollant pas, l’entreprise réajusta très vite son prix à 400 $.
Mais le problème de la startup était plus profond. Aucun effort de positionnement n’avait été fait comme le démontre la proposition de valeur du produit :
« Juicero, la première appareil au monde qui est à la fois un plan de travail et fait des jus de fruit frais. Juicero est conçu pour une expérience optimale en matière de jus de fruit maison ».
Ce message est basé sur les seuls avantages fonctionnels du produit et non pas sur la façon dont le prospect vit le moment où il boit du jus de fruit.
Un prospect n’achète pas un jus de fruit pour avoir une « expérience optimale », mais pour être en bonne santé, pour se faire plaisir ou parce que le petit déjeuner est un moment sacré.
Juicero ne s’étant pas positionnée, alors d’autres l’ont fait à sa place. Les journaux comparèrent la machine aux blenders et aux presses-agrume dont l’ancrage prix est à 100$.
Un malheur n’arrivant jamais seul, un test fût réalisé pour comparer la capacité de pression de la machine à la force du poignet. Un testeur parvint à obtenir la même quantité de jus que la machine en pressant une recharge avec ses mains.
L’image de la marque prit un coup fatal. L’absence de positionnement du produit finit de faire dégringoler Juicero à un ancrage à 0$. La startup ne s’en releva pas.
Lors du lancement de l’iPad en 2011, Steve Jobs commença par projeter une image où l’iPad était placé entre un iPhone et un iMac. Cet exercice permettait à Jobs de positionner ce nouveau produit en capitalisant sur l’image des deux produits vedettes d’Apple.
Steve Jobs poursuivit en décrivant l’iPad en terme d’expérience et de fonctionnalités. Jusque là, l’exercice de positionnement du produit était efficace bien que plutôt classique.
Il évoqua alors une première ancre du prix, celle que la presse avait annoncé : 999$. Puis, il précisa que ce chiffre était faux. Un nouveau chiffre fit son apparition : 499$, le prix réel de lancement de l’iPad.
Le prix de 499$ apparaît donc comme un signe de connivence entre Apple et son public. Il servait à signaler au public de l’iPhone et des smartphones que ce produit avait été conçu en grande partie pour lui et qu’il ne s’agissait pas d’un outil professionnel comme le Macbook.
En même temps, le nouvel ancrage à 499€ a fait de l’iPad un objet spécifique, distinct de l’ordinateur (999€) et du téléphone (399€).
Ce positionnement a également permis à la marque d’installer sa tablette comme la référence vis-à-vis de laquelle l’ensemble des acteurs du marché ont eu à positionner leurs produits par la suite. En voici l’exemple avec une publicité comparative de Microsoft.
L’ancrage prix découle directement du ciblage et du positionnement. Salvador Assael, a par exemple ciblé le public des riches New-Yorkais pour proposer ses perles noires à un prix très élevé. Ryanair s’est posé en alternative en ciblant le public des voyageurs à faible budget alors que l’ensemble des compagnies aériennes avaient conservées des tarifs datant d’une époque où voyager en avion était un privilège.
C’est ce que fait Steve Jobs lorsqu’il présente le tableau au moment de la conférence présentant l’iPad en 2011. Et présentant la position de l’iPad, il situe le produit entre le téléphone et l’ordinateur. A partir de cette position, il sera en mesure de proposer un prix qui se situe entre les deux ancres (Téléphone à 399€ et Ordinateur à 999€).
Steve Jobs était dans une situation plutôt confortable, il pouvait se permettre d’utiliser comme ancrage le prix d’autres produits d’Apple.
Dans la plupart des cas, un positionnement se fait par rapport à des produits concurrents ou des usages qui ne sont pas nécessairement marchands (machine nespresso vs. café maison).
Dans le cas où l’on souhaite mettre en valeur des produits dont les ancrages prix sont élevés, les marques tendent à se positionner par rapport à la catégorie produit dans son ensemble. Elles valorisent ainsi le mode de vie que leur produit est censé représenter.
Dans le cas de Heinz, ce qui est valorisé, c’est le mode de vie sain que supposerait l’achat à prix plus élevé d’un ketchup de la marque qui justifie un prix plus élevé.
Dans le cas de BMW, ce sont toutes les images de liberté et d’émancipation que suggère la voiture de luxe auprès de son public. A chaque fois qu’un produit est positionné vers le haut de gamme, le prix n’est pas mentionné. C’est ce qu’avait fait Salvador Assael en positionnant ses perles noires à côté de bijoux chers sans mentionner leurs prix.
C’est le raisonnement inverse qui s’applique. Dans le cas d’un ancrage prix bas, le prix devient un élément constitutif du positionnement et non sa conséquence.
C’est sur ce modèle que les compagnies aériennes low-cost ont installé l’ancre du billet simple à mois 50€ sur les destinations les plus fréquentées d’Europe occidentale au début des années 2000.
Si l’on prend l’exemple de Ryanair (dans l’exemple plus haut), l’entreprise n’a pas besoin de rappeler que les prix des billets sur les compagnies aériennes concurrentes dépassent les 100 euros sur ces destinations. En proposant des trajets à moins de 50€, Ryanair établit son propre ancrage en se différenciant de ses concurrents.
Vous décidez de vous intéresser au thème du fitness pour un public de personnes peu sportives mais souhaitant se changer de vie. Ces derniers ont déjà souscrit à des abonnements de fitness mais ont abandonné au bout de quelques semaines. Ils détestent le côté solitaire de la salle de sport et n’aiment pas non plus les amateurs de gonflette que l’on trouve souvent là bas. La plupart d’entre elles / eux sont des cadres, mais pas uniquement.
Vous avez décidé de développer un produit de remise en forme et de fitness destiné à ce public. Il s’appuie sur un couplage Application / Salle de sport / Coaching. Ses principales fonctionnalités
« Avec iCoach, vous n’êtes plus seul ». Avec ce message, vous soulignez que vous surmontez le travers des offres de fitness d’entrée de gamme que sont :
Vous mettez en valeur le fait que vous vous situez plutôt du côté des offres haut de gamme avec un accompagnement dans la durée.
La caractérisation du public doit vous permettre de fixer la bonne ancre. Il est peu probable que le public d’iCoach soit un public expert, donc l’ancre de prix devra être éloignée de la borne de 180€ par mois. Mais cela doit être testé.
Vu que votre cible est plus proche des offres d’entrée de gamme que celle d’un coaching permanent, la prochaine étape consistera à tester un prix plus élevé tout en restant dans cette échelle de prix.
Il consiste à tester votre prix sur une même période. Grâce à une application de split testing, vos clients seront répartis en deux groupes. L’un sera exposé au prix A et l’autre au prix B. A l’issue du test, il sera possible de voir lequel des scénarios et le plus avantageux.
Pour des entreprises de petite taille, le split test est le meilleur moyen d’obtenir des indicateurs intéressants sur les seuils d’acceptation de prix. Ils sont parfois décriés car ils présentent un risque de confusion si votre prospect se retouve exposé aux deux scénarios de votre test.
De plus, si vos volumes sont faibles, les conclusions peuvent facilement être faussées.
Il s’agit d’effectuer un test sur deux périodes différentes. Cela réduit le risque de confusion du split test simultané. Avec ces tests, certains facteurs externes à l’achat peuvent avoir un impact et fausser les résultats (saisonnalité produit, effet salaire en fin de mois, etc.).
Une autre alternative aux tests réalisés sur Internet est le panel. Certaines entreprises lancent de nouveaux produits en boutique ou dans des corners en testant des prix différents dans deux secteurs géographiques différents mais comparables. Ce format est plus difficile à mettre en œuvre pour une petite entreprise.
Cette hésitation est révélatrice d’une absence de positionnement. Dans le cas de notre exemple (iCoach), un tarif de 150€/mois positionne le produit auprès d’un public de sportifs avancés qui est le même que celui des stages de remise en forme.
A 40€/mois, nous nous adresserons à un autre public.
Avant de démarrer votre test, il est souhaitable de connaître votre public et de fixer l’ancre basse autour de laquelle vous vous situerez au démarrage. Le test consistera surtout à estimer des variations ne dépassant +10% de l’ancre que vous supposez.
Il est plus simple d’augmenter le prix d’un produit qui intéresse des clients que de baisser le prix d’un produit qui n’intéresse personne.
Si à l’issue du test, votre produit se vend bien dans le scénario à prix élevé, vous pourrez lancer un nouveau test en montant son tarif d’encore 20%.
Par contre, votre split test ne marche et que le volume des ventes est faible, c’est que votre positionnement n’est pas bon et que votre produit ne résous aucun problème. Dans ce cas, il est probable que la baisse du prix du produit soit sans effet.
L’exemple de Juicero nous montre à quel point la baisse de prix ne sauve pas un produit mal positionné.
Une offre de formation ne se vendra pas dans les mêmes volumes qu’un téléphone portable. Il faut donc savoir à quels indicateurs s’attendre en fonction de vos prévisions de vente.
Dans le cas d’une formation en marketing, si 30 personnes achètent votre formation en un mois de test, l’échantillon est probablement déjà significatif. Vous pouvez donc vous appuyer sur les résultats.
Ce seuil ne sera probablement pas suffisant pour notre produit iCoach décrit plus haut. Il faut donc partir des métriques de votre secteur pour avoir une idée de la représentativité de votre échantillon.
Les créateurs d’entreprise bâclent souvent l’étape de la fixation d’un prix. En associant le pricing à l’ensemble des travaux de positionnement, vous serez en mesure d’ancrer vos prix de façon avantageuse à partir d’informations fiables et de tests concrets.
Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée de Daniel Kahneman : Le livre du prix Nobel 2002 dans lequel il identifie deux systèmes de pensée, l’un basé sur l’intuition et les émotions et l’autre basé sur la rationnalité et l’analyse. Son étude étudie la façon dont nous combinons ces deux systèmes pour prendre nos décisions.
Vous l’avez compris, un bon positionnement est l’étape préalable pour fixer des prix avantageux à vos produits. Pour commencer du bon pied, téléchargez le guide « Créez un produit aussi désirable que celui d’une grande marque » et testez votre idée de produit et son positionnement.
Téléchargez le ici.
Et si vous avez votre propre expérience de pricing à partager, postez la en commentaire :). A bientôt.