Le système analytique de l’innovation (Innovation accounting) proposé par Eric Ries permet de tester les hypothèses de l’entrepreneur à partir d’un système d’analyse quantitative. Ce dernier mesurera ainsi :
L’ Innovation accounting distingue trois passages dans le démarrage de la startup :
Une startup devra donc commencer par établir sa stratégie de test idéale. Un MVP pourra être distribué auprès de différents publics pour tester différentes hypothèses.
Au moment du test, il conviendra de tester d’abord l’intérêt du client avec des outils marketing et promotion (exemple : achat de trafic, publicité, etc.). Si son intérêt est capté, on pourra alors passer au test du produit en lui-même.
Cette phase permettra ainsi d’engranger les données qui serviront de base au modèle de croissance. On testera alors les principaux indicateurs qui transforment les prospects de la phase précédente en clients. Les indicateurs : taux de conversion, taux de souscription aux version d’essai, souscriptions définitives, durée de vie client, etc.
Ces indicateurs permettent de soulever plusieurs questions concernant son produit :
A l’issue du test, l’entrepreneur devra avoir une vision claire de la façon dont les clients s’intéressent à son produit et souscrivent au service. Même des résultats extrêmement mauvais sont l’occasion d’un apprentissage.
Supposons une entreprise dont le driver de croissance est l’activation de nouveaux clients. Celle-ci n’a pas encore atteint son taux de souscription souhaité.
Elle testera les premières améliorations qui, selon elle, rendent le produit plus simple à utiliser et accélèrent son adoption chez de nouveaux clients.
Un changement dans la conception produit doit donc nécessairement impacter le comportement client, et cette évolution doit être mesurable.
Par la même occasion, elle devra aussi s’assurer que son indicateur de référence, le taux d’activation, est bien le bon indicateur de mesure des modifications effectuées.
Ces ajustements permettront la réalisation progressive d’un produit et d’une stratégie commerciale qui se rapprocheront de ceux envisagés dans le business plan.
Les modifications peuvent ne pas entrainer d’amélioration mesurable des indicateurs. Dans ce cas, l’entrepreneur ne travaille pas avec les bonnes hypothèses. Il est temps pour lui de pivoter.
Dans le cas d’IMVU, l’entreprise avait corrigé ses premières hypothèses. Le jeu (et son adoption) était le fait d’un public de gamers attirés par des rencontres virtuelles et non plus par un public de « tchateurs » souhaitant communiquer auprès de leur réseau existant. L’hypothèse avait été corrigée et l’entreprise avait effectué son premier pivot.
Mais même revu, le produit contenait de nombreux défauts et les ventes étaient faibles. Les équipes d’IMVU supposèrent que cela venait de la faible qualité du produit. Ils commencèrent donc à l’améliorer, mais cela fut sans effet sur le volume des ventes.
C’est alors qu’il fut décidé de mettre en place un suivi du tunnel de vente qui évaluait les indicateurs suivants : enregistrement du joueur, téléchargement, souscription au test, utilisation renouvelée et achat.
Pour tester ce tunnel de vente, l’équipe d’IMVU alloua un budget de 5$/jour (100 visites). L’objectif était de drainer un trafic suffisant et de tester le taux de conversion à chaque étape du tunnel. Cette faible dépense fût riche en enseignements. Chaque nouvelle amélioration pouvait maintenant être testée concrètement.
L’amélioration du chiffre d’affaire ne vint pas. Eric Ries et son équipe se décidèrent à lancer une analyse de cohorte. C’est-à-dire à analyser leurs indicateurs non plus de façon globale, mais par groupe de clients.
Ils focalisèrent leur attention sur les indicateurs d’un groupe client qui avait souscrit en février 2005. Il apparut que pour ces derniers, le taux d’utilisation renouvelé était passé de 5% à 20% du nombre de joueurs enregistrés. Mais il n’y eut pas d’augmentation de chiffre d’affaire. Le taux de conversion restait bloqué à 1%.
Les informations fournies par ces indicateurs permirent d’aller plus loin dans les questions posées à des panels clients. Dans les premières phases de création de la société, le réflexe était d’écarter les utilisateurs qui ne s’appropriaient pas le jeu. Avec ces indicateurs, il devenait possible de les interroger et de leur demander qu’est-ce qu’il n’allait pas dans les améliorations qui étaient apportées au jeu.
Ces nouvelles expérimentations permirent d’abord de ne plus développer sans test client préalable. De plus, cela instaura un dynamique où les équipes apprirent des tests et purent soumettre de nouvelles idées qui s’avérèrent plus productives. C’est ce que Ries appelle l’ajustement du moteur de croissance.
En souscrivant à la logique de l’ajustement du moteur de croissance, nous nous focalisons donc sur ce qui fait la valeur de la startup. Ses hypothèses de travail, sa capacité à traiter l’information et son interaction client. Cela permet également de lever la pression sur les équipes de production. De nombreuses entreprises font porter la responsabilité des baisses de ventes sur le dos d’équipes qui travailleraient mal.
En fait, ces reproches révèlent l’utilisation d’indicateurs de vanité. Ces derniers sont impossibles à retraduire en action. Elles peuvent même amener à des actions commerciales discutables visant à doper ces mêmes indicateurs de vanité (Visites, CA, Ventes, etc.). Nous en sommes les témoins quotidiens : remises en tout genre, produits encombrés de gadgets inutiles, démos produits surchargées, etc. Elles occasionnent aussi l’arrivée de consultants à la plus value discutable venus pour « mettre de l’ordre« .
Il s’agit généralement là d’une inversion des causes et des conséquences. Il traduit un réflexe ordinaire de défaussement, la politique d’entreprise dont parle le président d’Intuit. Pour les startup, ce réflexe n’est d’aucune utilité et il révèle les premiers indices d’un abandon du côté de l’entrepreneur.
En fait, l’efficacité opérationnelle d’une startup dépend de la seule qualité des informations collectées et analysées. Plutôt que de dépenser son argent en opérations commerciales ou en conseil, une startup doit donc se focaliser sur l’élaboration d’indicateurs qui lui permettront de construire un business durable.
Les métriques de vanité posent d’autant plus problème qu’elles peuvent coïncider avec une mise en œuvre superficielle de la méthode lean.
Ries donne l’exemple de Grockit, une startup qui avait mis place un réseau social de cours en ligne. Celle-ci suivait l’adoption de ses évolutions avec ses indicateurs de vente. Très disciplinée, l’équipe déployait de façon régulière des améliorations de son produit mais ne parvenait pas à agir sur les ventes qui montaient ou baissaient sans lien avec les améliorations du produit. Cette situation provenait de deux problèmes :
Grockit (avec Eric Ries) mit en place deux outils :
Avec ces deux outils il devenait possible de comparer la version existante du site avec celle contenant une modification.
Grockit remplaça le suivi des ventes par une analyse de conversion (Visite => inscription => cours d’essai => achat). Il devenait ainsi possible de mesurer l’impact des modifications effectuées.
Cela permit à l’entreprise de découvrir que les fonctionnalités sociales sur lesquelles elle mettait l’accent n’étaient pas nécessairement les plus souhaitées. Les étudiants souhaitaient au contraire avoir le choix entre des études en solo ou des études en groupe.
Les tests furent effectués selon la méthode agile Kanban. Les améliorations se déploient en quatre étapes ou seaux (buckets) :
Deux choses sont à noter :
Les autres améliorations se placent dans une file d’attente. Tant que l’amélioration n’a pas généré d’enseignement, on ne peut pas livrer une nouvelle amélioration. Cette situation est très frustrante pour les équipes de développements. Mais ces dernières peuvent travailler sur les améliorations contenues dans les autres seaux.
Du côté des équipes clients, cela demande un échange constant avec les utilisateurs pour tirer les enseignements au sujet des améliorations apportées.
En suivant cette méthode, Grockit réalise qu’un processus d’enregistrement simplifié (lazy registration) ne changeait rien au taux de conversion. Cette fonctionnalité vue comme essentielle par les équipes était en fait complètement inutile.
Pour Grockit, un enseignement principal fut tiré. La solution avait atteint sa maturité et ne nécessitait plus d’améliorations significatives. Par contre, il convenait mainteanant d’adresseer de nouveaux publics et d’augmenter les actions marketing. L’investissement porta ainsi sur l’enrichissement de l’offre de cours.
Un indicateur doit d’abord être actionnable. C’est-à-dire qu’il doit établir clairement l’action à mener à la lecture des données retournées. C’est en cela que les vente ou un nombre de produits vendus ne sont en rien des indicateurs actionnables. Quelle action peut-être déduite d’une baisse des ventes ? Cette absence d’actionnabilité des indicateurs de vanité est à l’origine de l’éternel argument : c’est la faute de l’autre.
Les métriques actionnables permettent donc d’éviter ce problème. Les causes et les effets associés à cet indicateur sont clairement établis. L’indicateur retrouve alors sa fonction, celle d’apporter un enseignement.
Accessible veut dire deux choses :
Les informations d’un rapport doivent pouvoir être ramenées à des publics. Côté cause, les clients doivent-être identifiables (ou leur comportement). Côté effets, les actions qu’ils amènent sont simples à adresser par les équipes en place. Ries utilise l’expression : « Metrics are people too« . Plutôt que de traduire l’expression littéralement et fausser son sens, il faut la comprendre comme : « les indicateurs se rapportent à des individus ».
C’est pour cela que les analyses de cohorte sont essentielles. Elles permettent de déceler des comportements spécifiques et de donner un contexte aux indicateurs de transformation du tunnel de vente.
Dans la mesure où les indicateurs se rapportent à des individus, ils doivent rester auditables. C’est à dire vérifier qu’ils se rapportent à des faits établis. Pour cela les reporting et système d’analyse de la donnée doivent rester le plus près possibles du système de production. Il faut au maximum éviter les retraitements dans des systèmes intermédiaires ou par des business analysts.
Photo : Indicators – Credits David Lee – Licence Creative Commons