Technologie vs. usages

By Lotfi BENYELLES

Technologies vs. usages

Le 12 avril dernier, la ville de Paris attribuait le marché des Vélos Libre Service (VLS) à une PME Montpelliéraine de 38 salariés. A partir de 2018, SMOOVE, remplacera JCDECAUX pour quinze ans. Comment le leader mondial de l’affichage publicitaire a perdu un marché qu’il avait contribué à créer avec sa technologie Cyclocity ?

Plusieurs facteurs ont joué et l’idée n’est pas de tous les recenser ici. Le but de cet article est de voir comment lorsque un produit atteint sa maturité, la recherche technologique va devoir privilégier une baisse des coûts et l’amélioration de la qualité du service du plutôt que l’amélioration de sa performance technique à l’utilisation.

Naissance du Vélo Libre Service

En 2009, la ville de Paris lançait le Velib’, un système de vélo en libre service (VLS) exploité par JCDECAUX. L’entreprise avait déployé à cette occasion le système de sa filiale Cyclocity breveté en 2001. Ce dernier avait déjà été mis en place à Vienne, Gijon, Cordoue et Lyon en 2005. A Paris, le marchés passé avec les autorités était associé à l’affichage publicitaire et du mobilier urbain. Velib’ a vite trouvé son public mais le service a coûté bien plus cher que prévu. Ceci du fait d’actes de vandalisme et d’une extension du réseau en banlieue non anticipée en 2007.

Consolidation du marché du VLS

D’autres concurrents ont développé leur offre ces dernières années tel Clear Channel (Smartbike), Effia (Vélossimo) et Smoove.

Smoove est née en 2008 à Montpellier. Ses fondateurs avaient contribué dès 2007 à la mise en place du système de vélo libre service de la ville. Conçu dès le départ comme une alternative aux Vélib, il dispose d’un mobilier de station moins coûteux et plus simple à réaménager. Ainsi, la location du vélo se fait directement depuis un clavier intégré au guidon. Le vélo est plus léger qu’un Velib et s’attache par l’avant. Le système permet de bloquer la roue et le cadre et rend le vol du vélo plus difficile. En dix ans, le système Smoove s’est constamment perfectionné. L’entreprise a mis en service des vélos électriques en mai 2017 à Helsinki. Plusieurs villes où le système a été déployé ont témoigné d’un coût d’exploitation maîtrisé.

Smoove a donc très tôt compris que l’enjeu du vélo libre service. Les villes souhaitaient surtout un système moins coûteux[1] à déployer et à sécuriser. Ce point qui est devenu la principale caractéristique de son offre.

Au même moment JCDECAUX remportait d’autres contrats à l’étranger grâce à sa vitrine parisienne. Néanmoins, l’entreprise restait sourde aux plaintes de la municipalité. Pour ses représentants, les problèmes de coûts et de sécurité étaient spécifiques à la ville de Paris et inconnus ailleurs. Ces derniers appliquaient une vieille règle : « Ce n’est pas le produit le problème, c’est le client ».

L’appel d’offre Parisien

A l’heure de renouveler le marché parisien début 2017, la ville avait produit un nouveau cahier des charges. Ce dernier était limité au vélo libre service et tenait compte de l’expérience des dix dernières années.  La proposition du futur prestataire devait donc satisfaire plusieurs points. D’abord, on lui demandait de proposer une technologie innovante. Ensuite, sa solution devait être plus sûre et empêcher les dégradations. Enfin elle devait permettre de baisser les coûts d’exploitation. Ces exigences mettaient l’ensemble des postulants au marché à égalité et imposait de remplacer tout le système existant (bornes, vélos, stations, etc.). JCDECAUX  pouvait néanmoins se considérer favorisé par la situation :

  • D’abord, la société a été très peu remise en cause sur les marchés passés avec la ville de Paris depuis plus de vingt ans.
  • D’autre part, son service était associé à l’image de la ville et on pouvait supposer que la municipalité ne souhaitait pas prendre de risques.
  • De même, le coût de prise en charge et de remplacement du réseau de station dans une métropole comme Paris pouvait être perçu comme trop élevé pour un nouvel entrant.
  • Enfin, le produit était simple à faire évoluer techniquement. JCDECAUX disposait d’ailleurs d’un prototype de vélo aux fonctionnalités supérieures aux modèles de ses concurrents [2].

Coût et fiabilité du produit

Pourtant JCDECAUX a perdu ce marché en apparence imperdable. La raison principale : il ne s’agissait plus d’offrir un offre techniquement en pointe mais plutôt un service moins coûteux et plus flexible. Lorsqu’un produit a déjà trouvé son marché et ses usagers, l’acquisition technologique et l’ajout de fonctionnalités n’est donc plus le seul facteur déterminant dans la perception qu’a un client de la valeur du produit. Dans ces cas, il est supplanté par des critères plus conservateurs : le coût et la qualité perçue du service. [3].

Prenons l’exemple du marché de la téléphonie mobile. L’Autorité de régulation de la téléphonie définit les règles d’accès à ce marché, notamment le nombre d’opérateurs autorisés à y accéder. Ce marché a été rouvert en 2010 par l’ART. Un nouvel acteur (Free) est arrivé pour renforcer l’attractivité (prix) des offres de téléphonie mobile. Cette ouverture devait également permettre d’accélérer l’adoption de l’internet mobile. En proposant un forfait voix à 2€ et internet à 20 euros, Free a répondu à la demande du régulateur et à l’attente du marché.

Les trois opérateurs historiques avaient jusqu’alors envisagé leurs offres internet comme une version haut de gamme de leur offre téléphonique. En réaction aux changements apportés par Free, Bouygues, Orange et SFR alors souligné la faible qualité de l’offre technique Free. Mais le nouvel entrant s’est imposé et les offres voix/données à moins de 20€ sont aujourd’hui la norme.

La technologie au service de l’usage

Ces deux exemples nous montrent des produits technologiquement avancés peuvent masquer un contexte de rente défavorable à l’innovation. L’opérateur fait payer la nouveauté au client ou à l’usager sans réel bénéfice. Dans ces cas, un nouvel entrant peut remettre en cause la rente installée. Il mettra dès lors la technologie au service du prix, de la satisfaction client et de l’efficacité opérationnelle.

 

[1] Les trois offres présentées répondaient aux exigences techniques de la ville de Paris.

[2] Sur ce dernier point, JCDECAUX avait vu juste. L’offre de JCDECAUX ayant été jugée la plus performante techniquement

[3] Le coût de la proposition présentée par JCDECAUX à la ville de Paris était supérieure de 30% à celle de SMOOVE

 

Photo : Penang Street Art Bicycle, 24 July 2013 – Copyright DTW – Creative Commons

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