The innovator’s dilemma – Deuxième partie

By Lotfi BENYELLES

The innovator's dilemma

Dans la première partie du livre Le dilemme de l’innovateur (The innovator’s dilemma – Clayton Christensen – Non traduit), nous avons vu que les entreprises leaders rataient le moment de l’innovation disruptive. Elles laissaient la place à de nouveaux entrants et ces derniers en profitaient pour reconfigurer le marché.

Souvent, ces leaders faisaient le choix d’ignorer une innovation alors même qu’ils avaient découvert la technologie qui la permettait avant les autres.

 

Deuxième partie – Comment innover ?

Résumé de la première partie.

Seagate a créé le premier disque du de 3,5 pouces. Mais elle a fait le choix de ne pas le développer pour préserver ses marges dans les disques de 5,5 pouces. Les exemples de ces ratages sont nombreux. Kodak a inventé le premier appareil photo numérique. Mais elle a fait le choix de préserver ses marges dans l’argentique laissant la place à d’autres.

 

Le bon management et l’innovation de rupture

La première partie du livre The innovator’s dilemma nous révèle qu’il y a des raisons à ça. Ces raisons tiennent aux règles du bon management. En effet, la priorité pour un bon manager se résume en ces deux points :

  • Répondre aux besoins de ses clients
  • Allouer les ressources pour faire aboutir des projets

Or ces deux priorités empêchent toute possibilité d’innovation disruptive.

 

L’innovation incrémentale, un choix de court terme

Pourtant, les managers sont convaincus d’innover, et en toute bonne foi. Mais ils ne font qu’améliorer les possibilités de produits existants.

Certes, il s’agit bien d’innovation, mais une innovation incrémental.

Celle-ci permet de se maintenir dans la course. Ainsi, le produit se développe. Progressivement, il dépasse la performance nécessaire au client. Son prix aussi finit par augmenter et l’entreprise augmente ses marges.

 

Dans l’entreprise, des ingénieurs proposent une technologie de rupture

Très souvent, c’est à ce moment que des ingénieurs de l’entreprise proposent une alternative technologique. Elle consiste à développer une technologie plus compact, moins qualitatif ou performant et offrant des marges plus faibles. Il possède deux atouts néanmoins :

  • D’abord, à court terme, il peut répondre à des besoins d’une clientèle de niche qui trouve l’offre existante trop chère
  • Ensuite, sa marge d’amélioration technique à long terme est très élevée

 

Les manager refusent d’investir dans la technologie de rupture

Le dilemme de l'innovateur - Clayton Christensen

La courbe en S de l’innovation disruptive – Le dilemme de l’innovateur – Clayton Christensen

Pourtant, les managers renoncent à mettre cette innovation sur le marché. En effet, son lancement s’oppose aux deux règles du bon management édictées plus haut :

  • La nouvelle technologie ne répond pas aux besoin des clients de l’entreprise et ces derniers la rejettent
  • La nouvelle technologie ne garantit pas que les ressources sont correctement allouées et que le projet aboutira

Elle préfère donc investir de plus en plus lourdement dans des technologies qui atteignent pourtant leur limite physiques (cf. schéma de la courbe en S plus haut).

 

Faire réussir l’innovation de rupture

Pour faire réussir l’innovation de rupture, il faut donc dépasser ce que l’auteur appelle modèle de l’échec.

La deuxième partie de The innovator’s dilemma va présenter les entreprises qui ont trouvé une alternative au modèle de l’échec.

 

Chapitre 5. Innover en cherchant les clients à qui la nouvelle technologie va apporter quelque chose

L’exemple de l’industrie du disque du nous montre qu’il est très difficile pour une entreprise leader d’innover en ciblant un autre segment de clientèle. Pourtant certains managers comprennent qu’ils doivent partir à la recherche de nouveaux clients.

Mais les organisations sont bâties de façon telle qu’il est souvent impossible pour ce manager d’aller au bout de son projet.

Généralement, les entreprises sont organisées pour répondre aux contraintes de son environnement. Elle ne dévient donc pas de leur trajectoire.

 

MANAGER POUR LE LONG TERME

Deux options se présentent alors au manager :

  • Convaincre tout le monde dans l’entreprise de l’importance de l’innovation de rupture. Ainsi, il devra défendre le fait que l’entreprise poursuive une option rejetée par les clients, qui contribue faiblement au chiffre d’affaire et qui dégrade la marge.
  • Créer une une organisation indépendante de l’entreprise établie. Ainsi, celle-ci pourra partir à la recherche de son segment de clientèle et s’adapter aux contraintes propres à ce marché (faible marges, qualité, etc.).

La deuxième option est de loin celle qui garantit les meilleurs résultats comme le prouvent les exemples que nous présenterons plus bas.

 

INNOVATION ET ALLOCATION DE RESSOURCES

Associé au désintérêt des clients établis, le système d’allocation de ressources freine l’innovation de rupture chez les entreprises leaders.

  • Les projets d’innovation sont souvent proposés par des opérationnels et les ingénieurs. Mais ils peinent à mettre en avant les bénéfices qu’ils apporteront à l’entreprise et à ses clients.
  • Les managers (middle management) tendent à choisir les projets qui offrent les plus grandes chances de réussite pour leur carrière personnelle. C’est ainsi qu’ils écartent les propositions des opérationnels et des ingénieurs.

Donc, lorsque des projets d’innovation de rupture arrivent, ces entreprises doivent

  • D’abord, résister à la tentation de les faire valider par leur clients existants
  • Puis mettre en place un nouveau système d’allocation de ressources. Celui-ci doit permettre aux projets de rupture de ne pas entrer en concurrence avec les projets d’innovation incrémentale.

 

DISRUPTION RÉUSSIE DANS L’INDUSTRIE DU DISQUE DUR

Nous avons vue dans la première partie de The innovator’s dilemma que ce marché a été confronté à de nombreuses disruption (Schéma 1.7 ici bas).

Le dilemme de l'innovateur

Schéma 1.7 – Évolution du marché du disque dur – Le dilemme de l’innovateur – Clayton Christensen

Voici trois exemples où la disruption a été correctement anticipée par le management.

Dans les deux premiers cas, les managers ont mis en place une organisation à l’extérieur de l’entreprise. C’est elle qui a été chargée de développer la technologie de rupture.

Dans le troisième cas, le manager a organisé la disruption à l’intérieur de l’entreprise. Toutefois, ce travail l’a mené à l’épuisement.

 

Quantum et le disque dur de 3,5 pouces

Au milieu des années 80, des employés de Quantum estimèrent que les disques dur de 3,5 pouces pouvaient avoir un potentiel de marché. Ils pensaient notamment que des utilisateurs de PC s’en serviraient pour augmenter les capacités de stockage de leurs ordinateurs.

Ils décidèrent donc de créer une startup et de quitter Quantum. Voyant leur départ comme une opportunité, leur employeur leur offrit de financer leur projet. En échange, il leur achèterait 80% des parts de la nouvelle société. Les employés acceptèrent. Plus Development Corporation fût ainsi créée.

La société était complètement autonome. Non seulement elle disposait de son propre management, mais elle gérait aussi ses clients, ses revenus et ses coûts. Plus devint finalement très rentable.

Alors que les ventes de disques 8 pouces devenaient insignifiantes, Quantum décida d’absorber Plus. Les disques durs 3,5 pouces de la petite société devinrent ainsi une ligne de produit de Quantum. Elle disposait d’une avance dans un marché en pleine explosion grâce notamment au développement du PC portable.

Par conséquent, Quantum décida d’adopter la même stratégie pour développer le disque dur de 2,5 pouces. Là aussi, les résultats fûrent très positifs. En 1994, l’entreprise devint ainsi le premier producteur mondial de disques durs.

 

Control Data in Oklahoma Control Data Corporation (CDC)

Control Data est une des société historiques du marché du disque dur. Elle contribua d’ailleurs fortement à la création de cette industrie. Entre 1965 et 1982, ses parts de marché oscillaient entre 55% et 62%.

Pourtant, à la fin des années 70, l’entreprise passa à côté du développement du disque dur de 8 pouces. Elle produisit bien un modèle de 8 pouces mais avec trois ans de retard. Son modèle ne fût vendu qu’à ses clients et sa part de marché s’effondra. Les managers de CDC décidèrent dès lors de se maintenir dans la course aux prochaines innovations.

C’est ainsi que lorsque Seagate lança le disque dur de 5,25 pouces, CDC décida de se lancer elle aussi au plus vite. Elle créa donc une filiale en Oklahoma chargée de développer ce produit auprès du bon segment de clientèle.

CDC devint ainsi le deuxième fabricant de disque dur 5,25 pouces avec 20% du marché.

Micropolis: une transition gérée par le management

Micropolis fût créée en 1978. Elle devint très vite un acteur de référence du marché du disque dur de 8 pouces. En 1982, le PDG de l’entreprise Stuart Mabon anticipa intuitivement la trajectoire de plafonnement technologique décrite plus haut dans le schéma 1.7.

Il décida d’organiser à l’intérieur de l’entreprise le développement du disque de 5,25 pouces. Il du effectuer un effort démesuré pour s’assurer que les ressources nécessaires au projet ne soient pas cannibalisées par l’activité historique. Cela lui prit 100% de son temps et le projet fût très difficile à mener.

Schéma 5.1 – Transition technologique et position de marché chez Micropolis – Le dilemme de l’innovateur – Clayton Christensen

Avec cette transition, Micropolis dût renoncer aux besoins des clients établis. Micropolis organisa ainsi le remplacement progressif de ses anciens clients par un nouveau segment client (Schéma 5.1). L’adaptation fût longue, compliquée et épuisante. Mais elle aboutit à un résultat positif. Micropolis resta un acteur majeur de l’industrie du disque dur malgré la disruption du marché.

Avec ces trois exemples, nous voyons que l’argument selon lesquels les managers n’ont pas la possibilité gérer une transition vers une technologie de rupture est tout simplement faux.

 

IBM ET L’ORDINATEUR PERSONNEL (PC)

Le dilemme de l'innovateur

Publicité IBM PC des années 70

La disruption dans l’industrie du disque dur est très dépendante de celle du marché du PC. En fait, les deux industriens partagent la même value network.

Pour rappel, la value network est un concept crée par Clayton Christensen. Il définit l’environnement dans lequel un acteur économique perçoit la valeur des biens achetés et produits. Par exemple, le client d’un mainframe achète un produit déterminé par une marge de 60%. Les fournisseurs de composants pour ce marché (dont les fabricants de disque dur) ajusteront en conséquence leur marge pour s’en rapprocher.

Ainsi, le marché du mainframe et celui du disque dur en 1960 faisaient partie du même value network. En conséquence, la marge réalisée pour un disque dur était presque la même que celle d’un assembleur mainframe comme IBM.

L’émergence de l’ordinateur personnel a constitué une disruption dans le marché des ordinateurs. Pour IBM et ses concurrents du mainframe, leurs clients n’avaient pas l’utilité de ce type de produit.

Ainsi, le PC fut donc ignoré pendant des années, ce qui permit l’arrivée de nouveaux acteurs (Digital Equipment, Nixdorf, Wang, etc.).
Puis les performances des PC atteignirent les exigences de certains de ses clients du mainframe. IBM décida alors de lancer sa propre gamme de PC.

Elle le fit au moment où nouvelle génération de PC, les mini PC, venait d’arriver sur le marché. Les nouveaux entrants étaient Apple, Commodore, Tandy et donc IBM.

IBM (comme Apple) reproduisit l’opération au milieu des années 80 avec les ordinateurs de bureau. Puis de nouveau au début des années 90 avec l’ordinateur portable. A chaque fois, elle attendit que la nouvelle technologie soit en mesure de répondre au besoin de ses clients.

Ces exemples tendraient à démontrer qu’il suffit juste d’attendre qu’une technologie murissent pour la proposer à ses clients.

Pourtant, ce succès doit être relativisé. En effet, aucun autres acteurs du mainframe n’a réussi dans le marché du PC.

D’ailleurs, pour réussir IBM appliqua la même méthode que Quantum et Control Data. Elle ouvrit une filiale en Floride loin de son siège New-Yorkais, IBM PC. Cette filiale avait non seulement la liberté de choisir ses niveaux de marge, mais elle pouvait aussi démarcher ses propres clients. Ainsi, elle entrait parfois en concurrence avec la branche mainframe.

 

KRESGE, WOOLWORTH ET LE SECTEUR DE LA DISTRIBUTION

Le secteur de la distribution a lui aussi connu des innovations majeures. Au milieu des années 50, Korvette fût le premier à pratiquer le discount à New-York.

Avec des prix plus bas de 20 à 40% que ses concurrents, il imposa le format de distribution que nous connaissons aujourd’hui. C’est-à-dire : distribution de grandes marques, mise à disposition en rayon, absence de vendeurs, etc. Korvette avait également défini sa cible. Les épouses des cols bleus.

Puis de nouveaux acteurs apparurent à la fin des années 50. Kresge, Woolworth et Dayton Hudson perfectionnèrent le modèle du discount de Corvette en inventant la distribution de masse. Celle-ci reposait sur un rotation de stock élevée et un très grand nombre de magasins. De leur côté, les grands distributeurs généralistes (dont Sears) décidèrent d’ignorer le discount.

Kresge recruta un nouveau directeur général en 1959, Harry Cunningham. Sa mission était de transformer Kresge en une puissante chaîne de discount. Cunningham revit entièrement l’organisation et remplaça de nombreuses personnes. Il décida de fermer près de 10% des magasins généralistes chaque année. En quelques années, l’enseigne s’était entièrement tournée vers le discount.

Woolworth pour sa part décida de ne pas perturber ses activités historiques. Elle créa donc une activité, Woolco pour développer ce segment de marché. Elle décida de conserver les mêmes équipes pour ses deux enseignes. Celles-ci étaient managées au niveau régional.

Malheureusement, elle ne pût maintenir au sein du groupe deux modèles aussi différentes. Très vite, les marges de l’activité discount augmentèrent et la rotation des stocks diminua. Woolco ne parvint donc pas à s’imposer dans le discount et le dernier magasin ferma ses portes en 1982.

 

LA SURVIE PAR LE SUICIDE, HEWLETT PACKARD ET L’IMPRESSION JET D’ENCRE

Une société peut aussi faire le choix de développer une filiale qui fera disparaître à terme une autre filiale pourtant rentable.

C’est ce choix qu’a fait HP dans le domaine de l’impression. Au début des années 80, HP devint l’un des leaders mondiaux dans le secteur de l’impression Laser. Durant ces années, elle ne cessa d’améliorer cette technologie et devint leader du marché.

Lorsque la technologie jet d’encre fit son apparition, il y eut un débat au sein d’HP. Certains soutenaient que la technologie jet d’encre ne pourrait jamais atteindre la résolution d’une impression laser. Elle ne justifiait donc pas d’investissement. D’autres soutenaient que le prix très bas de la technologie jet d’encre devait permettre d’adresser des clients qui ne pouvaient pas payer pour le prix d’une imprimante laser. A leurs yeux, HP se devait de se positionner sur ce marché.

Les dirigeant d’HP avaient réalisé que l’imprimante jet d’encre était une technologie de rupture par rapport à l’impression laser.

Ils décidèrent donc de laisser sa filiale de Boise dans l’Idaho poursuivre dans l’impression laser. En parallèle, ils créèrent une nouvelle filiale à Vancouver dans l’état de Washington. Celle-ci était complètement autonome. Sa seule mission était de réussir à faire de l’impression jet d’encre un succès.

Dans un premier temps, HP (Vancouver) répondit aux besoins de clients ignorés par les fabricants d’imprimantes lasers. Il s’agissait d’étudiants, d’enseignants et certains particuliers. Puis, dès la fin des années 90, la technologie s’améliora au point de répondre aux besoins de productivité de nombreux professionnels.

Les imprimantes laser, plus grandes et encombrantes devinrent une activité marginale pour HP au point d’être finalement absorbées par la branche Jet d’encre de Vancouver.

Chapitre 6. Adapter l’organisation à la taille du marché ciblé

Deux points sont essentiels lorsqu’une entreprise est confrontée à une innovation disruptive :

  • D’abord, la quête du leadership. Les entreprises qui arrivent les premières à installer la technologie disruptive en retirent les premiers les bénéfices.
  • Par ailleurs, il convient de créer une organisation adaptée aux petites opportunités d’un secteur émergent. En effet, les petits marchés de l’innovation disruptive ne pourront jamais satisfaire les besoins de croissance à court terme des grandes entreprises.

 

LES PIONNIERS ESSUIENT-ILS RÉELLEMENT LES PLÂTRES ?

Généralement, une entreprise confrontée à une innovation de rupture hésite à investir pour se positionner parmi les premiers entrants. L’autre option, celle d’attendre, peut paraître plus raisonnable à ses dirigeants.

Quelques rares exemples dans l’industrie du disque dur peuvent laisser que la deuxième option est préférable. Pourtant, dans la plupart des cas, les pionniers sont ceux qui retirent l’essentiel des bénéfices d’une technologie disruptive.

L’étude menée par Clayton Christensen dans The innovator’s dilemma révèle ainsi que 37% des primo-entrants parvenaient à dépasser les 100 millions de $ de chiffre d’affaire dans les deux ans d’existence d’une nouvelle technologie. Ce chiffre tombe à 20% pour les entreprises qui s’y prennent plus tard.

D’autant plus que si l’on regroupe ces chiffres à l’échelle de l’ensemble de l’industrie, l’écart devient vertigineux. Les sociétés qui se sont engagées dans une technologie disruptive ont cumulé 62 milliards de dollars de revenu généré par cette technologie. Pour celles qui ont attendu, ce chiffre est de 3,3 milliards.

Les entreprises qui tardent à rentrer sur le marché se condamnent donc à des positions marginales, voir à une disparition.

L’étude de Clayton Christensen révèle également qu’une innovation technologique incrémentale ne génère pas d’avantages.

Par exemple, le remplacement du silicium par la bande magnétique dans l’industrie du disque dur a été particulièrement coûteux pour IBM ou Memorex. Pourtant, il n’a généré aucun revenu supplémentaire. Pas plus qu’il n’a amélioré la position de ces entreprises sur le marché.

 

LE LEADERSHIP ET LES GRANDES SOCIETES DANS DES CONTEXTES D’INNOVATION DISRUPTIVE

Attardons nous maintenant sur le cas des grandes entreprises. Nous avons vu dans la première partie que ces dernières étaient particulièrement réticentes à s’engager dans des innovations disruptives. Nous avons vu plus haut avec le cas d’HP ou Micropolis que certaines grandes entreprises établies y parvenaient parfois.

Mais quel sont ces stratégie d’entrée adoptent-elles en général ? Clayton Christensen en identifie trois :

  • Elles essaient d’influencer l’acquisition d’une technologie disruptive. Elles tentent d’influencer le marché pour qu’il atteigne une taille critique et que leurs produits puissent y être vendus ;
  • Elles patientent jusqu’à ce que le marché ait atteint sa taille critique puis elles y commercialisent leur produit ;
  • Elles sous-traitent la commercialisation d’une technologie disruptive à une filiale.

 

Etude N° 1 : Influencer l’acquisition d’une technologie disruptive

En 1990, après deux décennies d’existence, Apple était à la recherche de nouveaux marchés.

Le marché des assistants personnels lui sembla être un bon segment à développer. L’entreprise lança donc Newton, un assistant particulièrement bien conçu et facile à manipuler.

Elle investit de fortes sommes d’argent dans le développement de ce produit et elle le promut de façon agressive. 140 000 Newton furent vendus les deux premières années. Le chiffre était très faible au vu des sommes investies et la plupart des analystes présentèrent le Newton comme un échec. Son système de reconnaissance d’écriture était décevant et ses fonctions de communications trop chères.

Le produit était pourtant bien disruptif dans la mesure où il est parvenu à créer son marché. Mais pour le marché et les dirigeants d’Apple les 43 000 ventes de la première année furent perçus comme un échec. Or à l’échelle d’un marché disruptif, il s’agit au contraire d’une réussite. D’autres acteurs tel Palm ou HP réussirent à s’imposer plus tard sur ce marché.

Le principe de l’innovation de rupture est l’essai – erreur. L’histoire d’Apple est d’ailleurs très significative. L’Apple 1 fût un échec, la première version de l’Apple II aussi. Ce n’est que la seconde version de l’Apple II [H11501] qui parvint à trouver une clientèle. Par la suite, les premières générations de Macintosh échouèrent également avant qu’Apple ne trouve la bonne formule.

Avec Newton, Apple tenta donc de raccourcir ce délai d’apprentissage. Elle décida qu’elle savait parfaitement ce que les clients attendaient d’un assistant personnel et que ces derniers aussi. Les investissements massifs imposèrent la nécessité d’un retour sur investissement à court terme. Or un tel produit nécessitait une phase d’apprentissage comme toute innovation de rupture.

C’est donc pour cela que ces innovations requièrent des organisations de petite taille.

 

Étude N°2 : Attendre que le marché soit assez large pour être intéressant

C’est la startégie attentiste. Clayton Christensen a démontré plus haut à quel point cette stratégie est peu bénéfique. Les deux exemples suivants illustrent sa démonstration.

En 1984, Seagate et d’autres fimes commercialisèrent le disque dur de 5,25 pouces. Cette technologie disruptive avait été mise au point en 1983. Elle mis donc à peu près un an à s’imposer sur le marché du PC. En effet, cette durée est néssaire pour mettre au point un modèle ordinateur à partir de composants déjà commercialisés sur le marché. Une autre société, Priam l’avait développé en 1982, mais c’était trop tôt et la société ne parvint pas à l’imposer.

Seagate Technology fût le second a mettre au point un modèle 3,5 pouces en 1984. Les analystes s’attendaient à ce que le modèle soit commercialisé en 1986, au moment où le marché deviendrait intéressant. Le modèle ne fût lancé qu’en 1987, à un moment où ce marché devenait intéressant.

Toutefois, en 1991, malgré des ventes significatives de disques 3,5 pouces, Seagate ne vendait toujours pas ses disques dur à des fabricants d’ordinateurs portables. Ses ventes de 3,5 pouces étaient destinées au marché du PC fixe où le disque de 5,25 pouces déclinait. En d’autres termes, Seagate canibalisait son marché historique.

Pourquoi ?

Nous avons vu dans la première partie du livre comment les ingénieurs de Seagate qui développère le 3,5 pouces sont partis fonder Conner peripherals. L’un des dirigeants de l’entreprise expliqua plus tard les raisons de leur succès et celui de l’échec de Seagate.

« Nos prédécesseurs concevaient le disque dur. Puis ils le fabriquaient et finalement, ils le vendaient. Nous avons changé ça. Nous vendons d’abord les disques, puis nous les concevons et enfin nous les construisons. […]. Seagate n’a jamais été en mesure de comprendre comment fonctionnait le marché de l’ordinateur portable. »

En d’autres termes, Conner a établi un standard de conception du disque de dur pour le marché du Pc portable. Elle obtenait ainsi un maximum d’informations et de mettre au point son produit avant de lancer la production. [Ce modèle de production s’est ensuite généralisé à d’autres industries comme nous l’avons vu dans le cas du Lean Startup]

 

Etude n°3 : Petites opportunites pour petites organisations

Comme pour HP et IBM, une société établie peut faire le choix de créer une nouvelle filiale pour développer une innovation disruptive. Ou comme dans le cas de Quantum (Plus) et Compaq (Conner), elles peuvent acquérir des parts dans une startup.

Dans les deux cas, il s’agit d’éviter de rencontrer les difficultés qui ont été celles de Micropolis lors de la mise au point du disque de 5,25 pouces.

A la fin des années 70 Control Data passa à côté du marché du 8 pouces. En conséquence, elle décida d’envoyer une équipe indépendante à Minnéapolis pour développer le disque de 5,25 pouces. Voici comment un de ses dirigeants de l’époque présente cette décision :

« Nous avions besoin d’une organisation qui puisse être excitée à l’idée d’avoir une commande de 50 000$ ».

Prenons un exemple d’innovation externalisée maintenant. En 1968, les systèmes de contrôle de refroidissement moteurs sur le marché étaient encore tous mécaniques. Ces systèmes étaient utilisés pour régler la température des moteurs dans les systèmes de climatisation, les pompes industriels, etc.

Allen Bradley était justement le leader dans la production des moteurs pour ces produits. La société produisait aussi les composants électromécaniques de refroidissement qui leur étaient nécessaires.

Cette année là, Modicon, une startup lança un modèle de contrôle de refroidissement électronique. Ce système était beaucoup moins puissant qu’un système mécanique. Il offrait néanmoins une flexibilité plus grande.

En 1969, les dirigeants d’AB pressentirent la fin prochaine des contrôleurs mécaniques. Ils décidèrent donc d’investir dans une startup concurrente de Modicon, Information Instruments, Inc. AB pût ainsi se positionner sur ce marché disruptif.

Dans le même temps, Westinghouse et General Electric ignorèrent l’innovation en question. Pourtant, ils étaient leaders dans la production de micro-composants électroniques et disposaient donc d’un avantage technologique.

AB n’avait pas cette expertise mais les progrès rapides de sa startup lui donnèrent raison. En quelques années, les contrôleurs électroniques d’Information Instruments, Inc. remplacèrent ses modèles électromécaniques.

EN RESUME

Les managers ne sont pas obligés de rechercher une croissance durable avec de l’innovation disruptive. Ils peuvent continuer à améliorer leur technologie et rester forts et compétitifs.

Mais le retours sur investissement d’un primo entrant sur une technologie disruptive peut-être énorme. Pour elles, l’enjeu sera de s’adapter aux conditions d’un marché émergent. Ce derniers sera caractérisé par des petits volumes et de faibles marges.

La politique d’innovation qu’elle adoptera sera déterminante. Celle-ci doit se caractériser par :

  • De petites organisations de type Startup
  • Dissociées du métier historique de l’entreprise et basées à un autre endroit
  • Ayant leur propres fournisseurs et démarchant leurs propres clients, y compris ceux du métier historique
  • Procédant en mode essai-erreur pour retirer le plus d’enseignement
  • Vendant leur produit à des clients early adopters avant d’en industrialiser la production.

Chapitre 7. Découvrir les marchés nouveaux et émergents

 

Dans le contexte de l’innovation incrémentale, il est assez simple d’évaluer les besoins d’un marché. En effet, les clients et les compétiteurs sont connus.

Les frais de recherche et développement, les études et le marketing peuvent ainsi être estimés sur des bases plutôt fiables.

Mais dans le cas d’une innovation de rupture, il est impossible de faire ce type d’estimation.

Dans ce chapitre, nous verrons comment les experts de l’industrie du disque dur ont fait pour identifier des opportunités. Ces derniers ont eu néanmoins eu énormément de mal à évaluer la taille de ces nouveaux marchés dans des contextes disruptifs.

 

PRÉVISIONS DANS DES CONTEXTES DISRUPTIFS VS PREVISIONS DANS DES CONTEXTES D’INNOVATION INCRÉMENTALE

L’industrie du disque dur est très riche en données. Un rapport mensuel détaillé est ainsi publié par un syndicat regroupant l’ensemble des fabricants le Disk/Trend. Le rapport publié par le Disk/Trend se montre souvent très fiable lorsqu’il s’agit de prévoir comment une technologie existante va évoluer.

Ses méthodes de prévisions se sont par contre avérées inefficaces lorsqu’il s’est agi d’anticiper sur l’arrivé d’une technologie disruptive.

 

À LA RECHERCHE D’UN MARCHÉ POUR LE DISQUE DUR D’1,3 POUCES : L’EXEMPLE DU KITTYHAWK D’HP

HP s’est ainsi retrouvée prise au dépourvu au moment de lancer son disque de dur de 1,3 pouces, le Kittyhawk. Le plus petit modèle de disque disponible sur le marché était le 3,5 pouces. Fallait-il baser ses prévisions sur l’apparition et le développement de ce modèle ou trouver une autre méthode ?

HP choisit la première option. Le marché des assistants personnels commençait à émerger et les dirigeants d’HP pensèrent que le Kittyhawk y trouverait naturellement sa place.

Un cabinet d’étude confirma leur pressentiment et établit les prévisions. Ainsi, les managers de la société développèrent des partenariats avec les principaux acteurs de l’industrie : Motorola, ATT, IBM, Apple, Microsoft, Intel, NCR. Eux aussi avaient misé sur le marché des assistants personnels.

Le Kittyhawk fût donc développé et mis sur le marché en 12 mois. C’était un produit haut de gamme grâce notamment à un capteur d’impact. Il pouvait par exemple encaisser des chutes sans s’abîmer. Son prix était donc élevé, 250 $ la pièce.

Mais le marché du PDA ne tint pas ses promesses et le Kittyhawk ne réalisa qu’une petite fraction des ventes attendues. Plus inattendu, l’essentiel des ventes était effectué au Japon auprès de fabricants de micro-caisses enregistreuses, de vidéo de surveillance et de scanners industriels. Ces clients n’avaient pas été anticipés par les prévisions d’HP.

Après deux ans d’existence, l’industrie du jeu vidéo montra son intérêt pour le produit. Mais elle demanda des prix nettement plus bas que ceux d’HP.

En réalité, HP avait conçu le Kittyhawk comme une technologie incrémentale. Elle pensait avoir les mêmes clients et les mêmes fournisseurs que ceux de ses disques 3,5 pouces. Elle misait sur la miniaturisation des terminaux avec un passage du PC portable au PDA, mais sans changement de value network.

Il s’agissait en réalité d’un produit disruptif et le segment du jeu vidéo aurait pu être prometteur. Mais le produit était cinq fois trop cher pour ce segment.

Plutôt que de pivoter pour répondre au besoin de cette industrie, le management considéra que trop d’argent avait été investi. Le Kittyhawk fût donc retiré du marché fin 1994.

Retrospectivement, les managers de HP considèrent que leur plus grosse erreur fût de considérer tout le long du projet que leurs hypothèses étaient bonnes.

HP n’est pas la seule entreprises à avoir commis cette erreur comme nous le montre ici bas l’exemple de Honda.

 

COMMENT HONDA A CONQUIS LE MARCHE AMÉRICAIN DE LA MOTO

La réussite de Honda sur le marché de la moto en Europe et aux Etats-Unis est souvent présentée comme une réussite. Pourtant avant d’y arriver l’entreprise japonaise a connu de nombreuses déconvenues.

Honda se mit à produire des motos au Japon à la fin de la deuxième guerre mondiale. Dans un contexte de grande pauvreté et de destructions, ses motos étaient économiques et robustes. Elles permettaient d’assurer de petit déplacement. Ses ventes augmentèrent de 1 200 unités en 1949 à 285 000 unités en 1959.

Au Japon, un des modèles de la marque était la Honda Supercub. Ce modèle était un tout terrain qui était utilisé notamment pour effectuer des livraisons sur les routes abîmées du Japon d’après-guerre.

En 1959, les dirigeants de l’entreprise décidèrent de s’installer aux Etats-Unis pour y vendre des modèles adaptés aux besoins du marché.

Les dirigeant réalisèrent donc une étude de marché. Celle-ci leur révéla que les américains valorisaient essentiellement la vitesse et la puissance de leurs motos. Honda n’avait pas de moto adaptée mais elle tenta néanmoins l’expérience.

Elle détacha 3 de ses employés de à Los Angeles pour promouvoir les ventes de ses modèles. Afin d’économiser sur places ces derniers amenèrent avec leurs modèles de Supercub pour se déplacer.

Les trois employés passèrent une première année difficile. Certains concessionnaires acceptèrent de commercialiser les modèles Honda mais les résultats furent désastreux. Les motos Honda étaient adaptées aux petites rues irrégulières et aux trajets courts. Sur les autoroutes américaines les modèles s’abîmaient très vite. Ils n’étaient pas adaptés non plus à de longues durées de conduite à grande vitesse.

Les frais de remplacement des modèles sous garantis mirent la société en péril. Il fallait renvoyer les modèles qui s’étaient abîmés et les remplacer par des modèles neufs, frais de transport en sus.
Les trois commerciaux de Honda à Los Angeles décidèrent un jour de sortir avec leur Supercub 50cc dans des villages proches. Les voisins, en les apercevant en train de se préparer leur demandèrent où ils avaient trouvé ces jolies moto.

Ces derniers ne prêtèrent pas beaucoup d’attention à cet intérêt et continuèrent d’utiliser leurs Supercub pour leurs sorties. L’intérêt pour ces motos augmenta et un vendeur de Sears entra en contacta avec les trois commerciaux de Honda à Los Angeles. Mais la société mère au Japon préféra ignorer cette demande.

La société souhaitait continuer à développer son marché de motos urbaine on-road plutôt que le tout-terrain. Finalement, face aux demandes de plus en plus récurrentes, elle se décida à commercialiser ce modèle aux Etats-Unis.

Les trois représentants de Honda adoptère une stratégie de commercialisation différente cette fois. Il s’adressèrent à des magasins de sport pour distribuer ce modèle. Le bouche à oreille fonctionnait bien, mais la société n’avait pas les moyens pour réaliser une véritable campagne de publicité.

C’est à ce moment qu’une classe d’étudiant en Marketing à l’université de Los Angeles travailla sur un cas pratique au sujet de la Supercub. Un des étudiants proposa :

« Vous faites les plus belles rencontres sur un Honda » – « You meet the nicest people on a Honda »

Encouragé par son professeur, l’étudiant vendit son slogan à la société. Ce slogan permit de rendre la marque célèbre aux Etats-Unis.

Le dilemme de l'innovateur

You meet the nicest people on a Honda

La Honda 50cc était donc bien une inovation disruptive. Avec elle, le constructeur japonais changea le marché de la moto aux Etats-Unis. Il s’imposa d’abord dans les petites cylindrées en adressant des clients qui n’auraient jamais acheté une moto auparavant. Puis, il s’attaqua aux segments des grosses cylindrées, celui qu’il avait tenté de pénétrer à son arrivée. Cette-fois-ci l’expérience fût réussie et Harley Davidson et BMW perdirent leur place de leader.

Cette histoire illustre encore une fois le chemin classique d’une innovation disruptive. Celle-ci s’impose par le bas d’un value network. Là où les clients sont marginaux et les marges très faibles. Une fois que le produit y a fait ces preuves, son perfectionnement technique lui permet d’entamer sa migration vers le nord est, là où les performances attendues et les marges sont plus élevées.

La situation des années 50 s’est donc inversée. Dans les années 80, c’est Harley Davidson qui tenta de proposer un modèle de petite cylindrée en s’associant au fabricant italien Aprilla. Mais le produit était trop éloigné des standards des clients d’Harley. D’autre part, il était qualitativement inférieur aux modèles Honda. Il ne parvint donc pas à trouver sa clientèle.

 

COMMENT INTEL A DECOUVERT LE MARCHÉ DU MICROPROCESSEUR

Intel est l’une des sociétés qui a inventé le DRAM, la mémoire vive de l’ordinateur. Pendant longtemps, ce produit fût au coeur de son activité. Pourtant, en 1978, l’arrivée des constructeurs japonais de micro-composants avaient fortement réduit les marges dans ce secteur.

Comment Intel a-t-elle donc fait pour passer du métier de la mémoire et du stockage à celui très différent des microprocesseurs. En fait, cela arriva presque presque par accident.

Intel a développé son premier microprocesseur suite à un contrat avec un fabriquant de machines à calculer japonais. A l’issue de ce contrat, les ingénieurs d’Intel parvinrent à convaincre les managers de racheter le brevet de ce processeur.

Intel n’avait pas de stratégie pour développer ce processeur. Ce dernier avait une capacité limitée comparé aux unités de traitement centrales des ordinateurs de l’époque. Mais ils permettait de développer de nouvelles applications qui étaient auparavant impossibles.

Avec l’épuisement de ses marges sur le marché du DRAM, Intel commença à basculer progressivement vers le métier du microprocesseur.

Les dirigeants continuaient pourtant tous à focaliser leur attention sur le DRAM. Mais, dans le même temps, les managers et les ingénieurs réorientaient l’allocation de ressource vers le métier du microprocesseur. Aucune étude de marché n’a été réalisée pour valider cette orientation. Une telle étude n’aurait d’ailleurs rien pu prévoir.

Avec son premier processeur, le 8088, Intel a créé une technologie de rupture. Pourtant, les ingénieurs et marketeurs n’avaient aucune certitude sur ses usages potentiels.

Puis la génération de suivante de processeur fût mise au point. Là encore, les marketeurs n’envisagèrent pas qu’ils puissent être utilisés pour produire des ordinateurs personnels. Pourtant, c’est grâce au marché du PC que les ventes de processeur Intel décollèrent.

Au moment où le processeur était mis au point, personne chez Intel n’avait d’idée de quels pouvaient être les marchés adressés ni les revenus et marges à espérer. Finalement, c’est cet état d’esprit exploratoire qui a permis ce succès du produit.

 

FAIRE DES PREVISIONS DANS LE CADRE D’UNE INNOVATION DE RUPTURE

Une mauveaise idée n’est pas nécessairement une entreprise qui échoue

Revenons sur l’exemple d’INTEL. Les idées des ingénieurs et des marketeurs au sujet des débouchés du microprocesseur s’avérèrent fausses pour la plupart. Mais Intel ne suivait pas un plan d’action marketing. Contrairement à Apple (Newton) ou HP (Kittyhawk), ses investissments limités autorisaient donc l’expérimentation et l’erreur. L’activité microprocesseur d’Intel a donc survécu à de nombreux faux départs avant de trouver son marché. Il en est de même pour Honda.

En fait, la pluparts de nouvelles industries créées dans des contextes d’innovation ont eu à abandonner leur plan initial pour pouvoir trouver leur marché. Il est donc fondamental d’engager le moins de dépense d’étude ou de marketing dans des phases d’expérimentation.

 

Les mauvaises idées ne doivent pas signifier l’échec pour un manager

Pourtant dans la plupart des sociétés, ces échecs sont imputés aux managers qui ont porté les projets. Même si l’idée est mauvaise à la base. En se montrant incapables d’entrer dans une démarche d’apprentissage, les grandes société se retrouvent incapables de retirer les enseignements d’un échec. Si les managers d’HP avait privilégié l’écoute du marché de niche que représentait les acteurs du jeu vidéo sur la planification rigoureuse et l’investissement marketing massif, la trajectoire du Kittihawk aurait été bien différente.

La planification attentive est applicable à l’innovation incrémentale car cette dernière s’adresse à des clients connus.

 

La mauvaise idée est nécessaire à l’innovation disruptive

En cas d’innovation disruptive, il faut d’abord comprendre les clients et le marché auquel on s’adresse et cela ne peut être fait qu’en expérimentant.

L’exemple de Honda montre que le succès d’une technologie provient généralement d’une découverte faite par surprise. Cette situation de découvert n’est possible qu’en observant et en écoutant ce que les clients ont à dire.

Pour qu’un échec ne signifie pas une accroc dans sa carrière, le manager devra donc sortir de son bureau et écouter ce que les clients ont à lui dire.

 

Chapitre 8. Evaluer les forces et faiblesses de votre organisation

Lorsqu’ils décident de lancer un projet innovant et disruptif, les managers partent à la recherche d’employés idéals pour le porter. Il vérifient notamment que les qualités de chaque salarié pressenti ait la capacité de contribuer aux résultats attendus. Si son profil et son métier ne correspondent pas, alors il n’est pas choisi.

Malheureusement, ces managers ne se posent pas la question de savoir si leur organisation sera en mesure de faire réussir ce projet.

Pourtant, une organisation a elle aussi un profil et un métier qui va conditionner son travail. Ce profil peut faire dérailler un projet innovant.

Les managers doivent donc également adapter l’organisation pour qu’elle soit en mesure de faire aboutir le nouveau produit.

 

ORGANISER L’INNOVATION

Trois facteurs vont déterminer ce qu’une organisation est en mesure de faire ou pas : ses ressources, ses processus et ses valeurs.

 

Ses ressources

Ce sont les facteurs les plus visibles : les salariés, les équipements, la technologie, les produits, les systèmes d’information, les marques, les relations avec les fournisseurs, etc.

Elles peuvent être utilisées facilement et transférées d’un pôle de l’entreprise à l’autre sans difficulté. Les ressources sont donc rarement le problème d’un projet innovant.

Mais des ressources placées dans des contextes ou les valeurs et les processus diffèrent pourront avoir des résultats bien différents.

Pour organiser l’innovation, il faut donc porter l’attention à ces deux critères.

 

Ses processus

Les organisations créent de la richesse lorsque les employés transforment les inputs (travail, équipement, technologie, énergie, information, etc.) en produit et service de plus grande valeur.

Le processus est le modèle dans lequel ces ressources interagissent.

Certains de ces processus sont formalisés, c’est à dire formalisés, rédigés et suivis. D’autres sont informels, ils correspondent à des habitudes de travail installées dans l’entreprise depuis longtemps. Elle correspondent à l’affirmation :

« C’est comme ça qu’on travaille ici ».

Les processus permettent d’effectuer des tâches spécifiques. L’obsession des managers pour les processus vient du fait qu’ils permettent de s’assurer qu’une tâche a bien été effectuée correctement ou non. Le non respect d’une tâche et du processus signifie pour eux que le principal levier de création de richesse dans l’entreprise est perturbé.

Ce point démontre donc que pour un manager, un projet innovant managé par l’essai-erreur est un risque pour l’organisation.

 

Ses valeurs

Le dernier facteur est celui des valeurs de l’entreprise. Les valeurs sont les critères qu’une entreprise utilise pour définir ses priorités. Par exemple :

  • Est-ce qu’une commande est suffisamment intéressante ?
  • Est-ce qu’un projet est risqué ?
  • Est-ce qu’un client est plus important qu’un autre ?
  • Est-ce qu’une idée innovante est attractive ou sans intérêt ?
  • Est-ce que les marges promises par un nouveau produit sont intéressantes ?
  • Etc.

Cette question des valeurs est particulièrement importante. C’est-elle qui explique les organigrammes par exemple. En effet, les managers seniors ont besoin de former d’autres managers pour que ces derniers puissent prendre des décisions de moindre importance. Plus une entreprise grossit, plus elle doit prendre de décision et plus il est nécessaire de diffuser les valeurs et de complexifier l’organigramme.

Associé au processus, on comprend pourquoi le middle-management se retrouve à prendre des décisions qui éliminent les projets innovants.

 

COMMENT LES PROCESSUS ET LES VALEURS PEUVENT CONTRIBUER AUX INNOVATIONS INCREMENTALES ET DISRUPTIVES

Revenons sur les chiffres du marché du disque dur présenté dans The innovator’s dilemma.

En 40 ans, il y a eu 111 innovations incrémentales et 5 innovations disruptives. A la suite de chacune des transformations technologiques incrémentales, les leaders ont pu maintenir leur position. A l’issue de chacune des cinq innovations disruptives, les nouveaux entrants dominaient le marché.

Le modèle RVP (ressource/valeur/processus) proposé par Clayton Christensen permet d’expliquer pourquoi les entreprises établies penchent naturellement vers l’innovation incrémentale et ignorent l’innovation disruptive.

  • L’intérêt d’une innovation incrémentale peut être évalué grâce à une étude de marché. En fonction des résultats de l’étude les managers prendront la décision de développer ou non cette innovation. Ces deux tâches sont identifiables dans le cadre d’un processus. Elles peuvent être formalisées.
  • L’innovation incrémentale permet aussi d’augmenter les capacités de ses produits, leurs prix et donc les marges. Là aussi, les valeurs permettront au manager de prendre une décision.

 

RESSOURCES / VALEURS / PROCESSUS DANS LE CAS D’UNE TECHNOLOGIE DISRUPTIVE

Une startup trop dépendante de ses ressources

Au démarrage d’une start-up, les réalisations sont essentiellement portées par les ressources de l’entreprise.

Mais au fur et à mesure de sa croissance, les processus et les valeurs de l’entreprise finissent par être établis. L’entreprise s’appuiera alors de moins en moins sur ses seules ressources et de plus en plus sur des valeurs et des processus définis.

Ce passage est important car c’est lui qui permettra à l’entreprise d’augmenter ses ventes en volumes et ses revenus. En rationalisant ses efforts, la startup peut passer d’un situation de nouvel entrant à une situation de leader.

Voici par exemple ce qui arriva à Avid Technology au début des années 90. Cette startup lança un logiciel d’édition vidéo qui permettait d’accélérer sensiblement le temps de montage. Ce produit rencontra alors un succès immédiat.

Très vite, les ventes augmentèrent mais l’entreprise ne disposait pas d’une gestion de stock efficace pour faire face aux commandes.

De plus, le logiciel connût de nombreux bugs sans que l’entreprise n’arrive à les régler. Elle ne parvint donc pas à contruire les processus qui lui auraient permis d’affronter ses problèmes de qualité et de stock. L’entreprise ne pût jamais dépasser le stade où la valeur est produite grâce aux efforts fournis par ses ressources. En moins de trois ans, des concurrents prirent sa place de leader alors qu’Avid avait pourtant crée ce marché.

 

Un cabinet de conseil qui ne s’appuie que sur ses valeur et ses processus

McKinsey et les autres cabinets de Conseils sont des exemples de sociétés qui s’appuient exclusivement sur les valeurs et et les processus. Elles recrutent chaque année des centaines de personnes issues des meilleurs MBA. Puis elles les forment à leurs méthodes et les envoient mener des projets chez les clients. Pourtant, ces sociétés ont peu changé depuis un siècle.

Elles se sont très peu diversifiées. Elles ont échoué à se positionner sur les marchés pourtant voisins du service informatique. Aujourd’hui leur marché est marginal en comparaison de celui de ces grands acteurs du service. Leur conservatisme extrême appuyé par des processus efficaces et des valeurs rigides ne leur a pas permis de bénéficier d’une innovation que des ressources internes auraient pu proposer.

 

La difficulté à équilibrer son RVP (Ressource / Valeur / Produit)

La réussite d’un nouvel entrant est généralement présentée comme étant la réussite d’un produit auprès d’un segment client. Mais cette présentation est partielle.

Un nouvel entrant réussit aussi parce ses fondateurs sont parvenus à établir quelles devaient être les priorités de l’organisation. Ces fondateurs parviennent ainsi à mettre en place un système de résolution de problème qui permettent aux managers de prendre des décisions.

C’est ainsi que le système de valeur de l’entreprise se consolide.

Progressivement, les managers finissent par se convaincre que ce système de valeur est la seule façon possible de travailler dans leur entreprise. Les processus et les valeurs sont alors regroupées sous le mot culture d’entreprise.

Pour les managers, l’enjeu devient alors de faire accepter cette culture d’entreprise aux employés. La culture d’entreprise est un outil puissant pour faire avancer collectivement les employés d’une startup vers la réussite.

Une culture d’entreprise est donc l’aboutissement d’un parcours où la construction de la richesse est basée sur les individus, puis sur les processus et enfin sur les valeurs.

Toutefois, la culture d’entreprise précise aussi ce que l’organisation ne doit pas faire. Elle devient ainsi une énorme faiblesse au moment d’affronter le changement.

Digital Equipment Corporation (DEC) avait-elle les moyens de réussir dans ordinateurs personnels ?

DEC était une des marques de référence dans la fabrication des premiers PC. L’entreprise était déjà leader dans la production de micro-ordinateurs. Ses compétence technologiques étaient reconnues et sa marque aussi. Enfin, l’entreprise disposait d’une très bonne trésorerie.

Pourtant DEC n’est pas parvenue à évoluer vers le marché du PC. L’entreprise avait bâti un RVP efficace dans le marché de du micro-ordinateur. Elle assemblait par exemple ses composants en mode batch et pouvait rapidement produire et livrer des commandes importantes. De ce fait, elle adaptait sa production à la demande et limitait considérablement ses coûts. Chaque mise au point de nouveaux modèles prenait entre 6 et 12 mois.

Ses clients étaient essentiellement des entreprises. Tout cela lui garantissait des marges d’à peu près 50%.

Dans les années 80, les premiers modèles de PC firent leur apparition sur le marché. DEC évalua l’opportunité de développer ces nouveaux produits. Mais le système de priorisation de l’entreprise (valeurs) réduisait systématiquement la priorité attribuée au projet de mise au point du PC.

Chaque tentative était avortée par un système RVP (Ressources / valeur / Produit) entièrement construit pour produire des micro-ordinateurs générant une marge unitaire de 50%. DEC déclina peu de temps après et disparût à la fin des années 90.

 

QUELLES CAPACITÉS POUR FAIRE FACE A L’INNOVATION DISRUPTIVE

Les ressources humaines s’adaptent, pas les processus et les valeurs

Contrairement à l’idée répandue, les ressources sont celles qui s’adaptent le plus facilement en cas de changement. Si un employé ne parvient pas à effectuer une nouvelle tâche, il suffira de le former ou de l’affecter à une tâche avec laquelle il sera plus à l’aise. Enfin, les employés peuvent être experts dans plusieurs domaines et faire preuve de polyvalence.

Les processus n’ont pas la faculté d’adaptation des ressources humaines. En cas de changement, leur adaptation est plus lourde. Si une entreprise ne dispose pas des compétences requises, il est fréquent qu’elle fasse appel à un partenaire ou à un fournisseur spécialisés. Elle renonce ainsi à se doter d’une capacité.

Les valeurs sont les plus complexes à faire changer. Comme le montre l’exemple de DEC, une société habituée à des marges élevées ne parviendra pas établir un système de priorités pour développer des produits à marge plus basse.

C’est pour cette raison qu’il est souhaitable dans ces cas d’acquérir une autre société ou de créer une filiale. Celle-ci aura la possibilité de s’appuyer sur ses propres ressources pour construire progressivement ses processus, son système de valeurs et sa culture d’entreprise.

Dans ces cas là, la société mère devra laisser sa filiale se développer. En cas d’absorption trop rapide, la culture d’entreprise et le système de valeur de la petite société s’évaporeront aussitôt. Or ce sont eux qui permettent à une innovation d’aboutir et de créer une croissance durable.

 

L’acquisition d’une startup

En 1984, IBM fît l’acquisition de ROLM, une société leader dans la fabrication de systèmes PBX (autocommutateur téléphonique privé).

La société acquise étaient très performante et son métier promettait pour l’avenir. Mais IBM décida de fusionner les équipes des deux sociétés. Le chiffre d’affaire des activités de Rolm s’effondra. En effet, les commerciaux d’IBM étaient habitués à des marges de 18% alors que celles des autocommutateurs de Rolm étaient de moins de 10%. Ces derniers ne réalisèrent aucun effort pour mettre en avant ces produits.

Des sociétés comme Johnson & Johnson se sont habitués à développer leurs innovations à l’extérieur de leur entreprise. Johnson & Johnson a créé des activités dans de nombreux domaines à partir d’acquisitions externes : lentilles de contact, chirurgie endoscopique, traitement du diabète, etc. De même pour Cisco, Lucent Technologies et Nortel dans le domaine des routeurs.

Toutefois, dans ces cas là, la fenêtre d’ouverture pour procéder à une acquisition est limitée. Par exemple, Lucent a payé extrêmement cher pour le rachat d’Ascend Communications. De même pour Nortel avec Bay Networks. Les startups acquises avaient déjà consolidé leur base client et leur marché. Elles étaient bénéficiaires et s’apprêtaient à s’attaquer au marché de la voix. En fait, Lucent et Nortel avaient tenté de développer les produits en question en interne. Mais elle n’y étaient pas parvenues.

 

Créer de nouvelles capacités au sein de l’entreprise

Acquérir de nouvelles capacités n’est pas complexe en soi. Il suffit de recruter, d’investir dans des machines outil, créer une marques, etc. Mais si elle sont insérées dans un système de valeur et des processus qui ne changeront pas, ces ressources produiront peu de résultat.

Au début des années 90, General Motors créa une nouvelle marque, Saturn. Elle s’adressait au segment de clientèle des berlines de ville. Les constructeurs américains avaient ignoré ce marché jusque là et les constructeurs japonais avaient occupé ce segment. La voiture devait-être plus économique, moins chère et plus pratique et adaptée aux petits déplacements.

Saturn n’était pas juste une marque. Elle avait ses propres salariés et son usine dans le Tenessee. Elle disposait également d’un réseau de concessionnaire propre. Le lancement fût réussi mais les ventes de Saturn pénalisaient essentiellement celles des autres marques du groupe. Au début des années 2000, GM décida de rationaliser ses moyens de production et la production des voitures Saturn regroupée avec celle des autres marques.

La culture d’entreprises de General Motors étaient adaptées à la fabrication de grosses berlines américaines, pas celle de Saturn. En peu de temps, la spécificité de la marque se dilua, les ventes s’effondrèrent. Finalement, GM annonça la disparition de Saturn en 2012.

Une société ne peut mener à bien une innovation de rupture si elle ignore la réalité de ses processus et de ses valeurs. Les dirigeant doivent donc s’assurer qu’un innovation est portée par des ressources, des processus et des valeurs appropriées.

Clayton Christensen propose le modèle suivant pour savoir si l’innovation peut-être portée en interne ou si elle doit être externalisée.

Le dilemme de l'innovateur

Schéma 8.1 – Adapter les besoins d’innovation aux capacités de l’organisation – Le dilemme de l’innovateur – Clayton Christensen

Comment lire le schéma

Les axes de gauche et du bas représentent les questions que doit se poser le manager au sujet d’une situation existante.

Les notes sur l’axe de droite représentent la réponse appropriée aux situations de l’axe de gauche.

Les notes sur l’axe du haut correspondent la réponse appropriée aux questions de l’axe du bas.

  • Région A du schéma 8.1 : Elle décrit une situation dans laquelle le manager est confronté à une innovation technique importante mais dont la logique reste incrémentale.
    Le manager aura certes besoin d’une grosse équipe de développement mais le projet peut-être mené au sein de l’entreprise. Clayton Christensen donne l’exemple du développement d’Internet Explorer par Microsoft. On peut aussi penser à l’adoption de la 4G ou de la fibre pour les opérateurs Télécoms.
    Ces projets d’innovation incrémentale sont extrêmement difficiles à mener. Ils visent à renforcer le business modèle existant de la société.
  • Région B : Il s’agit des projets d’innovation incrémentale simple. L’ajout d’une fonctionnalité ou l’augmentation des capacités d’un produit en font partie.
  • Région C : Les dirigeants sont confrontés à une technologie disruptive et l’organisation et les valeurs d’entreprise ne leur permettent pas de se l’approprier.
    Ils devront donc créer une organisation pour relever le défi. Pour Clayton Christensen, lorsqu’un réseau de distribution physique souhaite se diversifier sur internet, il se retrouve dans ce cas de figure.
  • Région D : Les projets disruptifs reposent sur la même technologie que le métier historique de l’entreprise. Mais il nécessitent des coûts et des investissements bien plus bas. Une équipe fonctionnelle légère sera chargée du développement commercial du produit tout en s’appuyant sur les capacités de production de l’activité principale.
    L’autonomie fonctionnelle de cette équipe sera ici fondamentale.

Ce modèle doit bien entendu être relativisé. Prenons l’exemple de DELL. Cette entreprise vendait des ordinateurs par téléphone. Lorsqu’elle décida de créer un nouveau magasin en ligne, il s’agissait bien d’une innovation incrémentale. Elle ouvrait un nouveau canal sans remettre en cause sa technologie et ses marges. Le projet a donc été géré en interne.

Pour Compaq, HP et IBM, cette stratégie aurait été au contraire disruptive. Par conséquent, il aurait été nécessaire de passer par un partenariat, un acquisition ou de créer une filiale autonome.

Chapitre 9. Performance, demande du marché et cycle de vie produit

Dans la première partie du livre, nous avons vu que les capacités technologiques d’un produit finissait toujours par dépasser ce que le marché attendait.

Nous avons également vu que ce moment là était un déclencheur. Il créait une opportunité d’innovation. Des nouveaux entrants pouvaient dès lors proposer des produits aux capacités plus faibles et adressant des segments de clientèle ignorés.

 

COMMENT LES PERFORMANCE EXCÉDENTAIRES CHANGENT LES RÈGLES DE LA COMPENSATION

 

Le dilemme de l'innovateur

Intersection des trajectoires entre les capacités fournies et les capacités demandées – Le dilemme de l’innovateur – Clayton Christensen

Le schéma 1.7, déjà présenté dans la première partie du livre montre qu’en 1988, les disques durs de 3,5 pouces et de 5,25 pouces fournissaient des capacités plus qu’adéquates. Pourtant, les fabricants de disque ont continué à les améliorer, et le disque dur de 3,5 pouces a fini par supplanter celui de 5,25 pouces sur le marché du PC.

A capacité égale, ce disque coûtait pourtant près de 20% plus cher que celui de 5,25 pouces. Pourquoi les fabricants de PC ont ils préférés utiliser une technologie plus chère alors que celle qu’ils utilisaient jusqu’alors était satisfaisante et coûtait moins cher.

En fait, en 1988, la petite taille des disque prit plus d’importance que ses autres caractéristiques. Ils permettaient aux fabricants d’ordinateurs de réduire la taille du matériel.

Voici donc l’allure que prend l’évolution d’une compétition technologique entre concurrents. Dans un premier temps, l’innovation va chercher à augmenter les capacités. Puis dans un second temps, elle cherche à réduire la taille. Dans un troisième temps, c’est la fiabilité. Ce n’est que dans le dernier stade que l’effort porte sur les prix, quand le produit a atteint sa limite physique et que l’innovation décline.

 

A QUEL MOMENT UN PRODUIT DEVIENT UNE MARCHANDISE ?

Schéma 9.3 – Modèle de l’offre de performance excédentaire appliqué à l’industrie du disque dur- Le dilemme de l’innovateur – Clayton Christensen

Schéma 9.3 – Modèle de l’offre de performance excédentaire appliqué à l’industrie du disque dur- Le dilemme de l’innovateur – Clayton Christensen

« Ils traitent notre produit comme une vulgaire marchandise ».

Voici ce que disent généralement des commerciaux déçus qui ne parviennent plus à faire valoir les qualités techniques de leur produit. Clayton Christensen parle de transformation du produit en marchandise. Le produit devient une marchandise lorsque ce dernier n’a plus d’autre qualité à faire valoir que son prix.

C’est exactement ce qui est arrivé au disque dur de 5,5 pouces en 1988. Et c’est aussi ce qui arrive aujourd’hui (en 2018) aux disques dur de 3,5 pouces.

Quand une compétition (concurrence) se déroule sans contrainte (monopoles, règlementation), le potentiel d’optimisation du produit s’épuise du fait de la mise à disposition d’une successions d’améliorations sur le marché.

Clayton Christensen en déduit un modèle de l’offre de performance excédentaire (Perfomance oversupply framework).

 

LE MODELE DE L’OFFRE DE PERFORMANCE EXCEDENTAIRE ET L’EVOLUTION DE LA CONCURRENCE SUR UN PRODUIT

Phase 1 : Lorsqu’aucun produit ne satisfait la demande du marché, les fabricants les font évoluer en augmentant les performances et en ajoutant des fonctionnalités.

Phase 2 : Lorsque 1 à 2 produits arrivent à satisfaire la demande du marché, la fiabilité qui devient déterminant.

Phase 3 : Puis les performance des produits finissent par répondre à la demande de fiabilité marché de façon crédible. Les clients tendent alors à demander des produits à plus forte praticité : taille, encombrement, gain de temps.

Phase 4 : Enfin, les produits proposés sur le marché cessent d’évoluer. Ils deviennent finalement des marchandises. Tous les produits répondent aux besoins minimaux de performance / fiabilité / praticité du marché. Le seul critère différenciant sera le prix.

Clayton Christensen salue ici la contribution de Geoffrey Moore et de son livre, Crossing the Chasm. Ce dernier fait reposer les phases décisives de l’innovation sur les usagers et les clients et non pas sur le produit.

En effet, Geoffrey Moore souligne le rôle déterminant des early adopters. Ces derniers vont choisir un produit sur la base de ses seuls fonctionnalités. Ce sont donc ces usagers innovateurs qui vont permettre à une technologie de s’installer en l’aidant à passer les phases 1 (performance), 2 (fiabilité) et 3 (praticité). La dernière phase tendrait ici à correspondre à l’adoption du produit par le grand public.

Ce modèle de l’offre de performance excédentaire décrit très bien l’évolution incrémentale d’une technologie. Mais est-il applicable tel quel à l’innovation disruptive?

 

CYCLE DE VIE DU PRODUIT ET INNOVATION DISRUPTIVE

Le modèle de l’offre de performance excédentaire est en réalité perturbé par l’apparition d’une technologie de rupture. Cela est dû à deux caractéristiques de l’innovation disruptive.

 

Le critère déclencheur l’innovation disruptive est la satisfaction d’un besoin négligé, pas la recherche de performance

En cas d’inovation disruptive, le modèle de l’offre excédentaire ne s’applique plus. Nous avons vu avec tous les exemples plus haut (IBM, industrie sidérurgique, excavation) que le premier critère est la satisfaction d’un marché ignoré et marginal.

En créant un structure commerciale qui adresse ces besoins, l’entreprise créé un produit qui par la suite pourra augmenter ses performances. Les managers qui souhaitent introtuire un produit disruptif ne doivent donc pas partir à la recherche des performances avant d’avoir établi leur clientèle.

 

Les technologies disruptives sont intrinsèquement plus simples, moins chères et plus fiables que les technologies établies

Même si le prix d’une technologie disruptive peut paraître plus élevé au départ, le rapport performance / praticité / fiabilité / prix joue toujours en faveur de la technologie disruptive.

Celle-ci, en achevant son cycle d’innovation incrémentale aura toujours un prix plus bas que la technologie établie qui finira par être supplantée.

 

LES PERFORMANCES EXCEDENTAIRES DANS LE MARCHÉ DES LOGICIELS DE COMPTABILITÉ

Intuit est le leader des logiciels financiers dédiés aux PME aux USA. La société détient 70% des parts de marché. Pourtant, la société était à la base spécialisés dans les logisiels financiers grands publics. Elle est entrée tardivement sur ce marché des PMA. La société avait identifié les trois points suivants pour développer son produit :

  • Premièrement, l’entreprise n’avait pas la compétence requise pour s’adresser à des clients experts (auditeurs, contrôleurs financiers). Elles pouvait par contre s’appuyer
  • Deuxièmement, les fonctionnalités les plus commodes de ce type de solution étaient le reporting. Pourtant elles étaient négligées par les offres du marché.
  • Troisièmement, dans les PME ciblées, il n’y avait généralement pas de personnes travaillant en tant que comptable. Cette tâche était accomplie par le dirigeant d’entreprise ou un membre de sa famille.

Alors que les acteurs du marché tendaient à ajouter des fonctionnalités et complexifiaient leur produit pour des publics experts, Scott Cook a donné la priorité à un besoin négligé : la simplicité.

Quickbook, le produit d’Intuit changea donc les bases de la compétition. Celui-ci était plus simple à utiliser et répondait à l’essentiel des demandes des publics les moins experts. L’outil devint ainsi le standard du marché que de nouveaux compétiteurs cherchaient maintenant à copier.

 

CONTRÔLER L’INNOVATION DANS UN CONTEXTE CONCURRENTIEL

 

Le dilemme de l'innovateur

Schéma 9.4 – Changement dans les bases de la compétition – Le dilemme de l’innovateur – Clayton Christensen

Clayton Christensen propose ce schéma pour tenter de comprendre les trois stratégies qui s’offrent à un manager pour créer un marché pour son produit de rupture.

  • Stratégie 1 : Développer les fonctionnalités d’un produit en privilégiant la performance et la fiabilité. C’est la stratégie qu a choisi HP avec les imprimantes jet d’encre par exemple. Le but de l’entreprise est d’acquérir des clients haut de gamme, là où les marges sont plus élevées.
  • Stratégie 2 : Apporter du confort et des prix bas. Ce sont les stratégies des entrants les plus tardifs sur en marché disruptif. Ces entreprises tenteront d’absorber une part du marché en offrant du confort aux clients (DELL) ou en proposant des prix bas (RYANAIR, EASYJET).
  • Stratégie 3 : Tenter d’influencer l’évolution de la demande vers plus de performance ou de fiabilité via des actions de marketing (APPLE).

Il n’y a pas véritablement de mauvais stratégie selon Clayton Christensen. Pour chacune de ces stratégies, on constate beaucoup d’échecs et de belles réussites.

 

Chapitre 10. Un cas d’étude : la voiture électrique

 

Le livre se finit sur un chapitre qui imagine comment la voiture électrique pourrait finir par s’imposer en tant que technologie de rupture.

Quelques dates d’abord :

  • 1900 : la voiture électrique est supplantée par la voiture à essence comme véhicule individuel motorisé ;
  • Années 1970 : les fabricants lancent les premières recherche de motorisation électrique dans un contexte de hausse du prix du pétrole
  • 1998 : La Californie vote une loi qui oblige les fabricants à vendre au moins 2% de voitures électriques dans l’état.

La question que pose Clayton Christensen dans The innovator’s dilemma est la suivante : La voiture électrique constitue-t’elle un opportunité de croissance durable pour les fabricants d’automobiles ?

Pour cela, deux conditions sont nécessaires :

  • La performance offerte par les technologies existantes doit dépasser la demande longtemps
  • La voiture électrique doit répondre au besoin d’un segment de clientèle ignoré par l’industrie actuelle

 

LA VOITURE ELECTRIQUE EST-ELLE UNE TECHNOLOGIE POTENTIELLEMENT DISRUPTIVE?

La première condition est atteinte depuis longtemps. Personne ne roule aux vitesses maximales offertes par les véhicules, la plupart des options du véhicule ne sont jamais utilisées et l’autonomie de la plupart des véhicules est très confortable. La voiture électrique, elle, n’offre pas toutes ces qualités. L’autonomie notamment ne permet pas de répondre aux besoins de la plupart des usagers. A noter également qu’à l’époque où The innovator’s dilemma a été écrit (1998), l’autonomie de ces voitures était extrêmement faibles.

Mais ce n’est pas suffisant pour déterminer si une technologie est disruptive. Pour cela il faut que la trajectoire d’amélioration de la technologie rejoigne progressivement la demande moyenne du marché.

Le dilemme de l'innovateur

La voiture électrique et les performances attendues du marché

C’est ce que nous voyons dans ce schéma. Sur l’ensemble des critères ci-dessus, nous voyons que la trajectoire d’amélioration de l’électrique est réelle. Cette technologie n’atteindra peut-etre pas les performances de la voiture à carburant avant longtemps. Mais dans un schéma de disruption, c’est la demande du marché qui sert de référence et non la performance offert par les produits existants.

Le véhicule représente donc bien un rupture potentielle sur le marché de l’automobile. Reste à savoir si des segments de clientèle peuvent trouver un intérêt à utiliser un nouveau segment de clientèle.

 

Y-A-T’IL UN MARCHÉ POUR LES VÉHICULES ÉLECTRIQUES

Dans le cas de l’excavation hydraulique, la faible contenance des seaux signifiait une faible capacité d’extraction. Pourtant cette limite avait fini par devenir un avantage. La plupart des petits chantiers n’avaient pas besoins de grosses capacités d’excavation.

Dans le cas de la voiture électrique, est-ce qu’il existe un public qui serait génés par la faible vitesse et le manque d’autonomie. Ces derniers valoriseraient par contre le faible coût de l’approvisionnement en comparaison à l’essence.

Clayton Christensen identifie deux cibles :

  • Les parents souhaitant offrir un véhicule à leur enfant. Ces derniers préfèreraient offrir un véhicule moins performant et donc moins dangereux.
  • Les conducteurs de centres urbains congestionnés.

 

QUEL SERAIT LE PRODUIT, SA TECHNOLOGIE ET SA STRATÉGIE DE DISTRIBUTION ?

Développer un produit dans un contexte disruptif

En suivant ce schéma, le développement voiture électrique devra suivre ce schéma :

  • Premièrement : l’objectif devra-être de produire une voiture simple, fiable et confortable. Les batteries devront par exemple être rechargeables rapidement et un peu partout.
  • Deuxièmement : Dans la mesure où personne ne connaît les clients de la voiture électrique, elle devra être construite en mode essai-erreur. C’est à dire que les premiers modèles devront pouvoir être réajustés en permance jusqu’à satisfaction des besoins d’un premier segment client. C’est à ce moment là que la production en série pourra être envisagée.
  • Troisièmement : la voiture devra être vendue à prix bas. Ce point est une condition du succès de l’usage de la voiture électrique. Cela même si le coût à l’usage s’avère plus élevé.

 

Stratégie technologique pour une innovation disruptive

Historiquement, une innovation disruptive ne coïncide pas avec une innovation technologique. Dans le cas de la voiture électrique, cela pose un problème. La technologie des batteries ne permet pas à l’heure actuelle d’envisager de développer une automobile ayant plus de 100km d’autonomie (nous sommes en 1998).

Pour les clients des constructeurs automobiles actuels, cette limite est trop importante. C’est pour cela qu’une telle innovation ne viendra probablement pas d’un constructeur automobile établi. Le nouvel entrant identifiera un segment de marché pour lequel les limites actuelles de la voiture électrique ne posent pas d’inconvénient.

 

Stratégie de distribution dans un contexte disruptif

Comme pour Honda dans la moto, la voiture électrique devra trouver un réseau de distribution propre. Les réseaux de distribution actuels s’appuient sur un modèle économique et des marges qui ne seront pas nécessairement ceux de la voiture électrique.

 

QUELLE ORGANISATION ?

L’organisation devra se satisfaire de faibles commandes et des marges limitées dans les premiers temps. C’est pour cela qu’il devra s’agir idéalement d’une entreprise distincte, qu’elle soit la filiale d’un groupe existant ou une entreprise entièrement indépendante.

Vu le gap technique et d’usage, la société devra tenir un long moment avant d’engranger du succès. Elle nécessitera donc un nombre d’essai extrêmement élevés avant de réussir.

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