Blockchain – The Internet of Money

By Lotfi BENYELLES

Andy Antonopoulos (1974) est un ingénieur gréco-britannique qui a beaucoup contribué ces dernières années à diffuser les connaissances relatives au fonctionnement de la blockchain. Son dernier ouvrage « The internet of Money » est la transcriptions de présentations et de Ted talks donnés par l’auteur depuis 2014. Il y donne un aperçu du fonctionnement de la blockchain et du bitcoin. Il présente aussi les perspectives de ce nouveau système.

 

The Internet of Money

Dès le début de l’ouvrage d’Andy Antonopoulos, l’auteur souligne que pour bien comprendre l’intérêt du Bitcoin, il faut s’intéresser à son utilisation comme moyen d’échange et non comme outil de spéculation. Ce point n’est pas encore intégré par les commentateurs des quotidiens économiques.

Le bitcoin a été créée à partir d’une nouvelle technologie nouvelle, la blockchain. Cette dernière donne la possibilité de revenir à ce qu’est réellement la monnaie, une abstraction. La blockchain permet donc une nouvelle abstraction de la valeur dans l’histoire de la monnaie. Après les coquillages, le métal, la lettre de crédit, la monnaie fiduciaire dans sa version papier et digitale. Ce qui change avec la blockchain, c’est qu’elle repose sur une architecture décentralisée. Elle donne ainsi la possibilité de libérer financièrement ceux qui aujourd’hui sont écartés par l’institution bancaire centralisatrice. L’auteur désigne par là les personnes les plus pauvres au sein des sociétés occidentales et des citoyens des pays du tiers-monde.

QU’EST-CE QUE LA MONNAIE ?

La monnaie est un moyen de communication

La monnaie est d’abord un moyen d’expression. Sa valeur ne provient pas de sa matérialité (un papier coloré). Elle vient du fait que le billet de banque est un signe associé à l’idée de valeur. Andy Antonopulos utilise le terme langage ou de moyen de communication. En utilisant ce signe dans nos échanges, nous donnons forme à l’idée de valeur. Cette reconnaissance de la valeur n’est possible qu’à deux conditions :

  • D’abord parce que cette monnaie a une production contrôlée,
  • Ensuite parce qu’elle fait l’objet d’un usage (l’échange).

Michel Foucault dans « Les mots et les Choses » avait pointé le moment de cette prise de conscience de la nature linguistique de la monnaie par la pensée économique du XVIIème. En faisant de l’échange monétaire le fondement de la théorie de la monnaie et de la valeur, il devenait possible pour les économistes de penser la monnaie (l’or à l’époque) comme un signe et de la dissocier de l’abstraction qu’elle représentait : la valeur. Cette prise de conscience est installée dans la pensée économique. Mais cette abstraction de la monnaie n’est pas envisagée de façon consciente au quotidien. C’est parce que la monnaie est aussi un instrument de production d’un pouvoir politique verticalisé.

 

La monnaie est un instrument de contrôle social et de production du pouvoir politique

La monnaie est un artéfact de l’état-nation. Nous n’avons pas moyen de l’interroger. Nous baignons dedans dès notre naissance. Elle est fortement associée aux attributs de l’identité collective. La monnaie est pourtant une information. Dans une époque où la production de l’information s’est affranchie d’acteurs centraux comme les états ou la presse, la monnaie continue de dépendre du système verticalisé. L’Etat dispose du monopole de la production de monnaie). Les banques disposent du monopole de sa distribution. Au bas de l’échelle, nous avons les usagers, c’est à-dire tout le monde y compris les banques et l’Etat.

Dans la Construction de la réalité sociale, Robert Searle précise comment la l’usage de la monnaie comme réalité du monde est intégrée dans l’inconscient. Cela passe par un réseau de croyances qu’il appelle intentionnalités. Elles lui évitent ainsi de se reposer la question de la réalité des choses à chaque situation d’échange. La monnaie tient donc en tant que concrétisation de la valeur grâce à deux conditions. D’abord à la condensation entre l’objet et sa représentation (la valeur et le billet). Ensuite, grâce au fait qu’elle fonctionne en réseau avec un ensemble d’autres croyances. Parmi-elles, certaines sont nécessaires à la production du pouvoir politique. Ainsi, nous considérons qu’un état et ses institutions contribuent à produire ce que nous présupposons êtres nos « réalités ».

 

Innovation monétaire et évolution de la pensée

Foucault et Searle ont un grand avantage par rapport aux grands penseurs de la théorie économique, ils ne sont pas économistes. Il est donc intéressant de pointer que la dernière des innovations concernant la monnaie a été autorisée par un mouvement de la pensée (philosophie et anthropologie) qui a permis de poser la question du langage et des signes dans notre quotidien. Ce mouvement a permis de ramener à la conscience d’un plus grand nombre que l’information et la valeur pouvaient être des agents distincts de leur support. Ce mouvement de la pensée collective a fonctionné en dialogue avec les grandes innovations de notre époque, notamment celles qui ont permis de démultiplier les supports de l’information et maintenant, de la valeur.

LA BITCOIN ET LA BLOCKCHAIN

Tout d’abord, il convient de pointer ce que la blockchain n’est pas. La blockchain n’est pas un moyen de paiement. Elle n’est pas non plus une monnaie, ni même un système bancaire. C’est un plateforme qui permet de garantir des transactions de confiance. A partir du moment où une application permet de garantir des transactions de confiance, il est possible de créer de la monnaie. C’est ainsi qu’est né le bitcoin.

Son fonctionnement

Bitcoin n’est pas à proprement parler une monnaie mais une capacité d’achat. La valeur n’est pas détenue dans un portefeuille, elle est stockée dans la blockchain et ce que les deux parties peuvent se transmettre sont une capacité d’achat à laquelle correspond un message signé, une autorisation. Cette autorisation a deux références. La première est source de la transaction qui créé une entrée non dépensée dans la blockchain. La seconde correspond à la destination, c’est à dire la clé (ou l’adresse bitcoin) qui aura la possibilité de dépenser la valeur correspondante.

Un réseau minimaliste

Bitcoin est porté par un réseau minimaliste qui ne se soucie pas du contenu de l’information ni de la forme qu’elle prendra. Nous sommes proche du fonctionnement de l’internet avec le DNS. La technologie de résolution des noms de domaines internet ne se préoccupe pas de l’information qu’elle transmet. Ce peut-être de la voix, du texte, de la vidéo, le réseau ne s’en soucie pas. Il se contente de la transmettre l’information d’un point A à un point B. Cette architecture a permis de le développement de tous types de terminaux spécialisés : ordinateur, téléphones mobiles, box tv, caméras de surveillance connectées… Ce sont ces derniers qui évoluent avec les technologies et les usages. C’est donc ce qui explique la pérennité de l’internet depuis trente ans.

Réseaux intelligents vs. réseaux minimalistes

Nous sommes à l’opposé des réseaux intelligents chargés de traiter la donnée avant de la transmettre. C’était le cas de la téléphonie fixe. Le réseau des systèmes bancaires a été bâti dans les années 70 et 80. Il est lui aussi installé sur ce principe de réseau intelligent et de terminaux minimalistes. Ces réseaux intelligents sont incapables de proposer une innovation décentralisée. A l’inverse des réseaux minimalistes, toute évolution se fait depuis l’intérieur du système vers l’extérieur. Ils exigent dès-lors des modifications lourdes et rendent inopérants l’ensemble des terminaux en aval.

Bitcoin est donc un réseau minimaliste qui permet de pousser l’intelligence sur les bords. Il s’affranchit d’un point central et permet la créativité dans les usages.

Une transaction sûre

La transaction ne contient pas de données sensibles, la seule chose qu’elle contienne son l’adresse d’où provient la transaction, où elle va et le montant. Les nombreuses critiques dans les médias grand public sont donc discutables. Elles ne portent pas sur les qualités intrinsèques du bitcoin et de sa technologie mais essentiellement sur certains acteurs et leurs actions parfois répréhensibles légalement. Elles peuvent également porter sur sa trivialité, un message dépouillé, ce qui rendrait la monnaie sans valeur. Mais on a là, de la part de personnes dont c’est pourtant le métier une confusion entre la valeur et son support.

Avec le bitcoin, la monnaie ne peut plus être confondue avec son support. Elle nous amène à considérer celle-ci pour ses qualités intrinsèques, une idée partagée de la valeur. Le bitcoin permet ainsi de révéler la monnaie dans sa qualité première, dépouillée de tous les artifices que lui attribuent les acteurs du système vertical décrit plus haut. La valeur n’est pas produite par un état ou une banque, elle n’est pas renforcée par des taux d’intérêt, l’évolution des cours d’une devise ou des rendements. Quant au besoin de sécurité, nous nous apercevons grâce la blockchain qu’il est provoqué par l’insécurité systémique des back-offices bancaires. Nous avons a vu ces dernières années l’ensemble des points de fragilité de ces architectures. Ceci depuis la vulnérabilité au phishing jusqu’au fait qu’un trader puisse générer seul quatre milliards de pertes sur son portefeuille sans être contrôlé.

Un développement ralenti

Toutefois, nous sommes dans une étape les deux paradigmes continuent à exister. D’une part celui de la blockchain qui est un système de reconnaissance et d’échange de la valeur décentralisé. D’autre part, celui d’une monnaie attribut d’un pouvoir central et dont la valeur est associée ceux qui en produisent l’artefact. Nous devons comprendre le fonctionnement du premier à partir d’un système de reconnaissance de la valeur bâti sur les mots du second. Cela ralentit donc développement de la blockchain.

Les perspectives du bitcoin et de la blockchain

Le bitcoin aujourd’hui

Le bitcoin est encore limité aujourd’hui par des infrastructures qui ne sont pas adaptées à son développement. La création de nouveaux serveurs dédiés au mining se développe mais elles sont encore insuffisantes à ce jour. Ces limitations font que le délai constaté lors des transactions peut parfois s’avérer long. Par ailleurs, le système aussi est structurellement dépendant d’habitudes de circulation de la valeur entièrement dominées par le système bancaire. Les monnaies électroniques comme le bitcoin pourront donc être exploitées à leur plein potentiel lorsqu’elles s’affranchiront de la norme monétaire en vigueur dans les systèmes d’échange actuels.

L’auteur prend comme exemple le rôle de la route dans le développement de l’automobile ou celui le réseau électrique. Dans ce dernier cas, l’ensemble d’usages qui se sont développés avec le renforcement du réseau sont allés bien au delà de la seule ampoule qui en fut à l’origine.

Les utilisations potentielles

Nous aurons peut-être à l’avenir des systèmes d’échange plus adaptés aux transactions sur certains types de biens, les biens immobiliers par exemple. L’auteur propose de considérer la monnaie comme une application. Le contenu de l’application c’est la valeur ou l’information, la monnaie ne sert qu’à l’exécution de la transaction.

Des milliers de monnaies pourront être créées, elles exprimeront le besoin de s’organiser en communautés localisée ou distantes et disposeront de leurs propres systèmes d’échanges, de solidarités, etc.

Index monétaire

En cas de multiplication des monnaies basées sur des reconnaissances de valeur différentes et des capacités d’achat spécifiques à des communautés. Comment pourront nous avoir une vision d’ensemble de ce que nous possédons ? L’auteur envisage la mise en place d’indexes mesurables qui permettront d’informer de la valeur de l’ensemble de notre portefeuilles. Les fonctionnements des bourses est d’ailleurs comparable. Nous disposerons d’indexes qui nous permettront d’avoir une vision de la valeur d’ensemble d’un portefeuille exprimé dans une « métamonnaie » informative. Cela même si les monnaies qui le composent ne seront pas échangeables et que la méta-monnaie n’aura pas de valeur marchande en tant que telle.

Andy Antonopoulos prévoit que les banques elles mêmes feront évoluer leur technologies dans le sens de la blockchain. Mais cette adoption se fera en tentant de fermer un système ouvert, donc sans modifier les règles actuellement en vigueur dans la banque.

La bockchain comme facteur de souveraineté

Pour l’auteur, la blockchain est pensée pour être ouverte et restaurer la souveraineté des usagers. Cela de la même façon qu’Internet a libéré l’information du monopole de la presse. La diversité des sources d’information sur le web le démontre. En facilitant la diffusion de l’information, Internet a permis aux acteurs de se concentrer sur sa production.

La blockchain comme facteur d’inclusion

De la même façon, chacun de nous pourrait devenir banquier en utilisant son seul téléphone. C’est notamment l’exemple que donne Andy Antonopoulos. La blockchain permettra ainsi à un agriculteur du Kenya de trouver seul des moyens de financement. Cela sans passer par des intermédiaires ou des banques.

L’auteur pense également que la question de la propriété individuelle peut-être remise définitivement en cause par la blockchain. La blockchain et l’internet favoriseraient la constitution de communautés qui récuseraient les prescriptions des systèmes centraux (dont la propriété). Cela favoriserait ainsi les usage collectif. Une communauté malienne de Montreuil pourrait se constituer pour contribuer à l’équipement collectif du village dont tous sont originaires.

CRITIQUE

Un livre qui clarifie le rôle de la monnaie et présente les perspectives de la blockchain et du bitcoin

Le livre qui a le mérite d’attaquer le fonctionnement verticalisé de l’industrie monétaire. Il laisse entrevoir une dépossession du pouvoir de création de monnaie par l’Etat et les banques grâce aux systèmes distribués. Tout comme internet a remis en cause les monopoles sur l’information et la communication.

Le bitcoin pourra aider à établir des principes libres et égalitaires dans l’établissement de la valeur. Il va donc probablement changer le mode de perception et de fonctionnement de la monnaie.

L’usage ne garantit pas la vertu

Le médium ne peut malheureusement pas donner de la vertu aux intentions de celui qui souhaite l’utiliser. Rien ne dit que l’abondance soit une garantie de qualité. D’un côté nous avons l’exemple romantique de Twitter pendant les révolutions arabes. De l’autre, nous ne pouvons ignorer le trolling permanent des courants réactionnaires lors des élections. Pas plus que les entreprises de manipulation menées par des courants fanatiques.

Une souveraineté discutable

De plus, l’idée d’une souveraineté financière individuelle est discutable. Les nouveaux médias de l’internet n’ont pas produit que de la souveraineté.

Le contenu informatif dominant dans l’internet reste celui de la société citadine riche. Les sociétés des exclus, dont parle Andy Antonopoulos peinent toujours aujourd’hui à produire leur information. Vingt ans après la généralisation de l’internet, la plupart des communautés du monde se lisent à travers les mots des autres.

Blockchain, un facteur d’inclusion économique, mais…

La blockchain sera un facteur d’inclusion économique. Mais elle ne règlera pas à elle seule la grande question sociale de l’exclusion. Comme l’internet, elle peut-être le relai des exclusions constitutives de nos sociétés. Elle contribuerait au contraire à isoler encore plus des groupes aujourd’hui aux marges. Comme nous l’avons vu au début de l’article, la production de la valeur est un fait culturel et non pas technique.

On peut donc douter qu’en élargissant le champ du principe anthropologique d’établissement de la valeur, on finisse par dissoudre la question de la gouvernance collective dans une somme de gouvernementalités individuelles équivalentes. C’est la limite du raisonnement d’Andy Antonopoulos : la confusion des principes de liberté et d’égalité.

Confusion des principes d’égalité et de liberté

Que la capacité à créer des standards de valeur soit donnée à chaque individu n’est pas en soi une garantie d’égalité. Dans le développement de l’internet, nous avons ainsi vu apparaître de nouveaux acteurs dans la production de l’information. Certaines petites communautés se sont renforcées et ont gagné en autonomie. Mais ces petites communautés n’ont pas remis en cause l’Etat et les grands acteurs de la production de l’information. Notamment dans la production du discours politique. Les anciens schémas restent en vigueur. Dans certains cas la petite communauté contestatrice grossit. Elle se voit dès lors proposer l’intégration dans le modèle verticalisé de pouvoir. C’est ce que nous voyons avec la tentation du pacte avec des mouvements hier aux marges. C’est le cas avec l’extrême-droite en Europe. Ou encore avec l’intégration des islamistes au sud de la Méditerranée.

Dans les autres cas, la décentralisation est défendue fermement. Mais la défense du pouvoir verticalisé ramène la communauté contestatrice à l’infantilisation. C’est le sort auquel sont réduites les communautés participatives (Nuit debout). Internet a permis de multiplier leurs moyens de rassemblement et d’échange. Mais il n’ pas ébranlé le principe de la verticalité du pouvoir et son contrôle sur la production de l’information. Le pouvoir verticalisé comme mode de gouvernance s’est adapté. Il a développé un système de contrôle à postériori. D’autres fois, il s’approprie le débat pour mieux le taire en excluant ceux qui l’avaient initiés. La question des monopoles de la production des systèmes verticalisés que dénonce A. Antonopoulos n’est plus à l’ordre du jour depuis longtemps. Un système bien plus efficace l’a remplacé. C’est aussi déjà le cas pour la monnaie qui enferment les individus dans des verticalités (systèmes de fidélité, de bons d’achat, de points, etc.).

Un espace mais aussi un outil

Nous voyons donc qu’Internet et la blockchain peuvent produire des espaces de regroupement. Mais ces espaces sont déterminés anthropologiquement. Ce sont donc aussi des outils manipulables par les hommes. Surtout ceux qui possèdent le savoir-faire nécessaire. Les affaires récentes démontrent bien que le combat contre le contrôle et la la censure est une nécessité (Snowden, Wikileaks, Nuit debout, etc.). Mais la lutte contre la production horizontale du pouvoir ne se mènent pas dans l’espace des réseaux mais en dehors.

 

Photo : Shells – Credit : Squid Ink – Licence Creative Commons

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